Madeleine, Résistante 1. La Rose dégoupillée

F ille d’instituteurs, Madeleine passe une enfance heureuse dans la Somme, gambadant à travers des champs et à l’orée de bois encore marqués par les stigmates de la Grande Guerre. En 1939, tout bascule pour la jeune fille. D’abord entraînée sur les routes de l’Exode avec son grand-père, elle se voit ensuite humiliée par un officier allemand quand l’armistice est signé. Forcée de baisser la tête, l’adolescente se jure alors de combattre par tous les moyens cet occupant honni. Mais, à dix-sept ans, qui contacter pour entrer en résistance ? La tuberculose et un séjour dans un sanatorium vont lui ouvrir subrepticement les portes de ce qui déterminera son avenir.

Témoigner, encore, toujours, auprès du plus large public possible, y compris à travers la bande dessinée. C’est finalement cela qui a convaincu Madeleine Riffaud (née en 1924) d’accepter une entrevue avec Jean-David Morvan et d’entreprendre une collaboration avec lui et Dominique Bertail. Bien lui en a pris, car, en sus d’une amitié nouée avec ses co-auteurs – joliment exposée en introduction et conclusion de l’album -, cette femme de conviction offre l’opportunité aux bédéphiles de découvrir sa vie et ses luttes, à travers une trilogie éditée par Dupuis dans sa collection Aire Libre.

Déclenchée, la mémoire de la combattante expose avec une franchise certaine, agrémentée d’une touche de poésie, son vécu, son ressenti et ses vérités sur les événements qui ont précédé et initié son engagement dans la Résistance. Années de l’innocence enfantine, premières confrontations avec les horreurs de la guerre, idéalisation de ceux qui, déjà, agissent dans l’ombre, amours naissantes, mais aussi regard sur la maladie, la mort ou les choix des personnes rencontrées, ce tome d’ouverture se révèle riche. Il résonne d’autant plus fortement que le scénariste a choisi de retranscrire les propos qui lui ont été confiés en conservant le je. Cette narration au style direct fait mouche, car elle pose le lecteur en auditeur privilégié de celle qui se fit appeler « Rainer » et crée, ainsi, une réelle proximité. Les quelques allusions à des anecdotes qui sont venues plus tard ou des réflexions a posteriori sur les faits racontés renforcent encore cette impression.

Pour accompagner le récit, Dominique Bertail livre une partition graphique des plus réussies. Baignées par dans des nuances bleutées, ses planches dégagent une atmosphère puissante et prenante. Au fil des pages, la gamine qui gambadait à Folies grandit, s’affine et s’affirme, tandis que le décor d’abord rural devient montagnard puis urbain. Sur un découpage et des cadrages parfaitement maîtrisés, le trait croque les visages, restitue les émotions, confère corps et âme à l’héroïne et aux protagonistes qui l’entourent. Il sait aussi magnifier les paysages à travers quelques très belles pleines pages. Enfin, des poèmes de Madeleine Riffaud sont insérés à la fin de chaque « période », telles d’ultimes empreintes d’un vécu exceptionnel.

Bande dessinée et témoignage captivants, La Rose dégoupillée ouvre brillamment une série particulièrement prometteuse qui fait ressurgir du passé une destinée ô combien singulière à l’époque la plus sombre de l’histoire contemporaine. Mémoire vive, Madeleine, Résistance est à lire, relire et transmettre.

Moyenne des chroniqueurs
8.0