Tomie

L a première œuvre du maitre de l’angoisse et de l’horreur, Junji Ito, revient en version intégrale chez Mangetsu pour le plus grand bonheur des fans de cet auteur. Pour les autres, c’est l’occasion de découvrir une œuvre majeure de l’histoire du manga.

L’histoire débute par le massacre d’une jeune fille par ses camarades. Elle devient par la suite une créature démoniaque et perverse d’une grande beauté. Tour à tour capricieuse et enjôleuse, Tomie va en rendre fou plus d’un : des lycéens, un médecin obsédé par une patiente, une jeune fille à qui est greffé un des organes de la défunte et qui se transformera en l’exacte réplique de la donneuse…. Il est dur de lui résister, il est impossible de s’en débarrasser.

La présente intégrale proposée par la branche de Bragelonne dédiée aux mangas est un bel objet. Le papier est de qualité, tout comme l’impression. Le tome propose un cartonné rouge reprenant une illustration de l’auteur, recouvert par une jaquette où le titre ressort en relief sur une Tomie qui regarde langoureusement le lecteur. Les rabats offrent une rapide biographie de Junji Ito et une liste de ses titres qui devraient sortir chez Mangestu. Beau dans sa forme, l'’objet comporte des petits bonus : une préface signée du réalisateur Alexandre Aja et une interview de maître Ito. Les fans apprécieront !

Graphiquement, l'œil voit bien qu’il s’agit du tout premier travail de cet auteur. Pour rappel, il a dessiné le premier chapitre lors de ses pauses alors qu’il était dentiste. Le magazine Monthly Halloween lui ouvre alors ses portes et ses pages (on est en 1987) et Junji Ito remporte le prix Umezz. Pour celles et ceux qui l’ignorent, Umezz est le surnom du mangaka Kazuo Umezu, que les spécialistes reconnaissent comme étant le pionnier du manga d’horreur fantastique. Il est une source d’inspiration pour notre auteur. Cela se ressent dans certains chapitres de Tomie, mais également dans plusieurs de ces œuvres qui suivront à l’instar du génial Spirale. Dans la première partie de la présente série, le trait est épais, ce qui pourrait laisser croire, à tort, au lecteur qu’il s’agit d’un dojinshi. Ito améliore son trait au fil du récit, comme la lecture de l'intégrale le montre bien. Les progrès sont spectaculaires sur les personnages, les décors, les ombres, les trames. Pour quelqu'un qui voudrait découvrir l’univers de Junji Ito en commençant à lire son travail de manière chronologique, il lui faut franchir le cap du chapitre initial.

La grande force de ce titre réside dans le parti-pris scénaristique. En effet, il propose une succession d’épisodes, de tableaux dont Tomie incarne le fil conducteur. L’histoire ne devient linéaire que dans les deux derniers chapitres qui amènent à un dénouement. Il est possible de reconnaître dans cette technique l’influence d’Umezu qui a lui-même repris la structure narrative des contes fantastiques du folklore japonais. Pour les lecteurs habitués à des récits linéaires, cela peut être déroutant, or cela contribue à générer l’ambiance de malaise qui gravite autour du personnage principal. Ce choix a toutefois un écueil, celui de l’inégalité entre les épisodes : certains sont assez angoissants, d'autres... plus anecdotiques. Junji Ito a fait le choix d’opter pour un dénouement intéressant, qui instaure un climat digne de Poe ou Lovecraft. Là, il prend le lecteur à revers en revenant à du fantastique, laissant derrière les chapitres de gore qui jalonnent cette intégrale.

Tomie un conte macabre où l’ironie côtoie le fantastique, la légende urbaine et l’horreur. Un titre qui est à classer dans les classiques du genre !

Moyenne des chroniqueurs
8.0