Mémoires effondrées

N é en 1980, le comédien Antoine Donelli écrit des lettres jusqu’à sa mort, en 2047. Parmi ses destinataires figurent des amis, une tante, une éducatrice spécialisée, de même que sa compagne. Il discute d’un peu tout, mais l’environnement est un véritable leitmotiv. En une quarantaine de correspondances, il trace le portrait d’un homme et de son regard pessimiste sur la société. Il s’agit moins d’un récit que d’une méditation sur notre monde et sur la fin de la civilisation comme inéluctable conclusion.

Dix ans après Kahr Town, l’artiste multidisciplinaire Baya revient au neuvième art. Mémoires effondrées se révèle atypique. Chacune des quarante saynètes se distingue des autres par sa facture, son ton et son contenu. Certaines apparaissent poétiques, mélancoliques ou nostalgiques, alors que d’autres témoignent d’une réflexion sociopolitique. Aussi, l’auteur s’aventure ponctuellement, avec bonheur, dans la vulgarisation scientifique. Comme si ce n’était pas suffisamment étourdissant, la chronologie n’est pas respectée. Pour apprécier cette bande dessinée hors-norme, le lecteur gagnera à se laisser porter par le texte et l’iconographie ; petit à petit, des réseaux de sens se formeront. Il devra également faire preuve d’indulgence envers lui-même et admettre que des subtilités lui échappent.

La tonalité, un tantinet moralisatrice, s’avère par moments lourde. Un exemple parmi d’autres, une scène centrale, se déroulant pendant le confinement de l’automne 2020, met de l’avant un protagoniste en colère : consommateurs, antimasques, touristes, youtoubeurs, bourgeois, politiciens… Pour tout dire, personne ne trouve grâce aux yeux du misanthrope. Cela dit, il n’a pas tout à fait tort.

Les illustrations constituent l'élément le plus fort de ce projet. Elles se présentent sous la forme d’un mélange de peintures et de dessins (allant du naïf à l’ultraréalisme), de photos (trafiquées ou pas), de sculptures (généralement faites d’objets récupérés) et d’infographies. Construites avec une telle variété de matériaux, les images prennent pour la plupart la forme de collages où interagissent l’être humain, la nature et la technologie, souvent présentée sous la forme d’engrenages. Elles évoquent la démarche du bédéiste Dave McKean (Cages, Batman : L’asile d’Arkham), mais aussi, jusqu’à un certain point, les motifs de Renaud Dillies (L’émouvantail, Le clan de la rivière sauvage). Enfin, il faudrait probablement regarder du côté de l’arte povera pour découvrir les principales influences du créateur.

Chapeau à l’éditeur, Rue de l’échiquier ; l’album est imprimé sur un papier mat d’excellente qualité, faisant ressortir toutes les nuances du travail du conteur.

Un livre fascinant, exigeant et réjouissant. À poser sur le dessus de la pile des bouquins à relire.

Moyenne des chroniqueurs
7.5