Circé la magicienne

Ils pensaient débarquer en conquérants sur cette île aux reflets d'or,
Gibiers, eau et peut-être plus encore…
Ne le méritaient-ils pas, eux, les guerriers d'Ulysse,
Un peu de repos et quelques promesses de délices ?
À la place, ils y trouvèrent punition méritée,
En porc ils furent transformés.
Un seul être osa donc les affronter.
Son nom, Circé.


Richard Marazano invite à découvrir son interprétation d'un célèbre passage de L'Odyssée (chant X), celui qui s'attarde sur cette « experte en de multiples drogues ou poisons, propres à opérer des métamorphoses ». Passées les premières pages aux dialogues parfois nébuleux, l'histoire déroule son écheveau, maintenu par la magicienne. Le texte ciselé est relativement accessible, tout en restant fidèle à l'époque d'origine et ces intonations de théâtre antique. Les appétits guerriers et destructeurs qui sont chevillés au corps des hommes s'expriment clairement et vont perturber la sérénité des lieux et de ses habitants. Tout en n'étant pas dupe du sort qui l’attend, la propriétaire ne se laissera faire pour autant. Femme forte certes, elle est aussi forcément soumise à la domination masculine et aux injonctions divines. C’est ce que l'auteur s’emploie à démontrer dans le face à face avec Ulysse et ses compagnons. La narration et le rythme impeccablement gérés font de cette lecture une redécouverte très agréable.

Pour le dessin, Gabriel Delmas instille un côté mystique tout à fait approprié. Le choix surprenant des couleurs et le fort contraste du noir (ton principal) y sont pour beaucoup. Le gros travail par hachures et pointillés créent un effet de matière très intéressant. Loin de gâter le rendu par cette dominante sombre, les différences techniques utilisées confèrent une personnalité puissante et instaure une atmosphère presque lovecraftienne, propice au drame latent. L'ambiance singulière qui s'en dégage est troublante, comme dans un rêve ténébreux. Ce pari divisera les lecteurs mais ce choix original est relativement pertinent et cohérent au vu du texte.

Sur un graphisme puissant, cette relecture audacieuse de Circé se révèle envoutante, intelligente et assurément moderne ; une vraie réussite.

Moyenne des chroniqueurs
7.0