Rouges estampes Une enquête pendant la Commune…

E n février 1871 le siège de Paris par les Prussiens prend fin. La nouvelle Assemblée Nationale, de sensibilité monarchiste, s’installe à Versailles et cède à toutes les demandes allemandes. Mais la capitale, républicaine et patriote, s’oppose. La Garde Nationale s’affranchit du pouvoir et refuse de laisser ses canons à l’armée. L’épisode de Montmartre va provoquer la révolte de la Commune. Raoul Avoir, artiste graveur, parce qu’il a fait son droit, est désigné commissaire d’un quartier du 14è arrondissement. Il range son carnet de croquis et passe son temps entre perquisitions des églises, arrestations des prostituées et recensement des logements libres. Au milieu de ces tâches pour lesquelles Raoul s’interroge sur sa légitimité, le cadavre mutilé d’une jeune femme est découvert. Un assassin, profitant du désordre, rôde dans Paris.

Jean-Louis Robert, professeur émérite d’histoire contemporaine, et Carole Trébor, qui scénarise avec Rouges Estampes sa première bande dessinée, ont poursuivi deux objectifs : réhabiliter la Commune dans la mémoire collective (commémoration des 150 ans en 2021) et raconter une bonne histoire, l’un servant de berceau à l’autre. C’est une double réussite. La restitution des événements du printemps 1871 est précise et approfondie. Au-delà des épisodes les plus connus, les auteurs interrogent la justice, la laïcisation, la peine de mort ou la légitimité politique. Nathalie, institutrice et compagne de Raoul, aux côtés de Louise Michel, mène son combat pour le retour des enfants à l’école, l’éducation gratuite et obligatoire, ainsi que pour la protection et les droits des femmes. Le récit montre bien comment une révolte patriotique et démocratique se transforme en révolution sociale.

Par ailleurs, le second fil rouge est incarné par une enquête sur des meurtres particulièrement violents, les cadavres étant mis en scène et mutilés selon des codes que s’emploie à expliciter le détective néophyte. Cette partie de l’album est également bien menée, même si elle fait inévitablement penser aux faits et gestes de Jack L’Éventreur tels qu’Alan Moore et Eddie Campbell les ont mis en scène dans From Hell. Sans être d’une originalité absolue, la partie policière de l’album est menée rondement.

Nicola Gobbi (Rouge passé, Tropiques toxiques), dessinateur italien installé en France depuis 2016, propose un graphisme dépouillé, un noir et blanc rehaussé ponctuellement de rouge, laissant toute sa place aux dialogues, aux atmosphères et à la construction des personnages. Plusieurs pleines pages, l’insertion de documents d’époque et un découpage intelligent font de l’album une œuvre riche, variée et profonde.

Cet épisode historique, peut-être parce qu’il est absent des programmes scolaires et a longtemps été l’objet d’une désinformation officielle, a trouvé sa place dans le neuvième Art. Les Communardes, Le Cri du peuple, Le Sang des Cerises sont autant de séries qui ont mis en lumière les parcours des individus, capables du meilleur ou du pire lorsque l’Ordre n’est plus établi, que des opportunités apparaissent et que des rêves sont à portée de main. Dans leur lignée, voici une très belle histoire au service du devoir de mémoire, ou l’inverse.

Moyenne des chroniqueurs
7.0