Hantée

J uillet 2008. Arrivée à Montréal depuis plus de deux ans maintenant, elle se sent enfin chez elle dans cet appartement, avec de vrais meubles (Ikea) et de l'espace ! Mais plus de boulot par contre… Jusqu'à présent, elle travaillait encore pour son pays d'origine, l'Iran, en tant que dessinatrice free-lance pour des sites journalistiques. Il est peut-être temps de penser et de vivre comme une Canadienne ?

Shaghayegh Moazzami livre un récit autobiographique sans fard, dans lequel elle partage avec celui qui le lira le terrible poids qu'a pu avoir sur elle la religion islamique, mais surtout, son application jusqu'au-boutiste par ses partisans : famille, belle-famille, professeurs… Le traumatisme et les conséquences sur sa vie actuelle donneront naissance à des démons intérieurs qui prennent la forme d'une horrible bigote voilée, incarnation de personnes qu'elle a pu connaitre autrefois et qui prônaient aveuglément l'Islam, le vivaient dans ses moindres règles et le faisaient subir à autrui de manière implacable. Insultes, reproches incessants, humiliations, rien n'est épargné à la jeune auteure. Ces manifestations imaginaires obsessionnelles sont bien évidemment l'expression de profondes perturbations et violences psychiques qui ont laissé des traces et engendré des répercussions dans son quotidien. L'histoire alterne intelligemment passé et présent, son mariage blanc avec un pseudo fiancé, l'enfer administratif pour partir au Canada, son enfance, son adolescence, sa relation avec les amis…

Le style graphique se révèle assez particulier : brut et semi-réaliste, presque naïf. Le noir, le blanc et leurs déclinaisons dominent, avec parfois des aplats de jaune. Une trame grossière au feutre gris surcharge souvent les illustrations, n'arrangeant pas le manque d'esthétisme général. L'expression des personnages s'avère très bien retranscrite, notamment la méchanceté pure qui se dégage du visage de la harceleuse.

Hantée démontre sans atermoiement, avec sincérité et justesse, la pression des traditions religieuses que peuvent subir encore maintenant les femmes iraniennes dans ce pays ainsi que leurs stigmates, pour celles qui ont eu l'opportunité de s'exiler.

Moyenne des chroniqueurs
6.0