Mademoiselle Baudelaire

L e livre s'ouvre par une séquence onirique. Juchées sur Notre-Dame de Paris, deux silhouettes se détachent : une Sphinx noire et sensuelle et Baudelaire, doté d'ailes blanches démesurées. Ce dernier évoque un triste ange déchu, petit homme à l'apparence dérisoire qui porte une voilure bien trop grande. La référence à L'Albatros est évidente.

Par cette métaphore, Yslaire énonce le sujet de Mademoiselle Baudelaire. Plus qu'une biographie de l'auteur des Fleurs du Mal, c'est un le portrait d'une relation qu'il dresse : celle du dandy maudit et de sa muse, la Vénus noire, omniprésente et pourtant effacée de l'Histoire.

Il ne subsiste que peu de traces de cette inspiratrice. Ses dates de naissance et de décès restent méconnues, tout comme son origine, probablement créole. Son nom de famille reste incertain, même si Duval est celui qui revient le plus souvent. Tout au plus sait-on qu'elle était comédienne, qu'elle obséda le poète et que leur passion nourrit quelques-uns de ses plus beaux vers. Il est d'ailleurs intéressant de relire les poèmes inspirés par Jeanne, comme Le serpent qui danse, qui prennent un tour différent, plus charnel et plus réaliste. Cette belle alanguie n'est plus une inconnue.

Se basant sur quelques éléments biographiques, dont un testament laissé par l'auteur quelques jours avant une tentative de suicide, le récit imagine ce qu'aurait pu être leur histoire. Mais c'est du point de vue de l'amante que se place ce récit. Ce dernier s'articule autour d'une lettre imaginaire qu'aurait adressée "Mademoiselle Baudelaire" à la mère de Charles, quelques jours après son décès, survenu en 1867. Le lecteur y découvre une relation complexe, passionnée, brulante et toxique. Entre domination et dépendance(s), haine et amour, passion et répulsion, tout y semble exacerbé et excessif. La folie qui habite ce couple n'est pas sans rappeler celle qui traverse les pages de Sambre.

De ce jeu d'oppositions multiples, certains raccourcis peuvent sembler un peu faciles, comme de suggérer un antagonisme entre la chair (le féminin) objet de désir et l'esprit (masculin) en quête d'absolu. Mais Yslaire n'a pas son pareil pour raconter ce genre d'histoire. Tantôt cru, puis poétique, il joue des codes pour mélanger imaginaire poétique et trivialité d'une relation bancale. Il met en images la fascination quasi fétichiste du corps de Jeanne et des sentiments contradictoires qui déchiraient l'auteur des Fleurs du mal.

Mademoiselle Baudelaire n'a pas la prétention d'être une biographie fidèle. C'est une vision romancée de la vie de son sujet à travers un point de vue inédit. Ce livre questionne également la place de la femme dans le monde artistique. Métisse, pauvre et peu éduquée, l'héroïne est en butte au mépris et à la moqueries du petit boys club que constitue le cercle d'amis de Baudelaire. Lui-même la considérait toujours comme inférieure, jusqu'à exiger que Gustave Courbet ne l'enlève de l'un de ses tableaux : L'atelier du peintre, où elle apparaissait par-dessus l'épaule du poète, telle une muse. Au fil du temps, son image réapparut par transparence. Jeanne Duval n'était pas le genre de femme à accepter d'être oubliée.

Moyenne des chroniqueurs
8.3