Un léger bruit dans le moteur

P eut-on parler d'une ville ? Certainement pas. Un village, peut-être ? Même pas... à peine un hameau. Quelques masures agglutinées et délabrées jusqu'à la corde. Ajoutez une église qui accueille plus de courants d'air que de paroissiens, une épicerie miteuse tenue par une vieille bique et une caravane sordide qui tient lieu d'école, tentant d'apporter un minimum d'instruction à quelques pauvres gosses. Seule la route relie ce lieu oublié au reste du monde.

Si les esprits optimistes soutiennent que de magnifiques fleurs peuvent pousser sur un tas d'ordures, rien de tel ne risque d'arriver dans ce bled sans nom. Comment se construire sainement dans un environnement aussi sordide ? Comment espérer un éclair d'humanité dans cet océan de bêtise crasse, de médiocrité, de racisme, de méchanceté...?

Il ne faut donc pas s'étonner d'y rencontrer un enfant meurtrier. Il n'aime pas les gens. Il les déteste tous, sauf Laurie, qui n'a jamais eu de chance dans sa vie. C'est une raison suffisante pour les tuer tous. Et il a un plan.

Un léger bruit dans le moteur est une bande dessinée noire, très noire. Sa description d'un microcosme vivotant en marge de la société, que ce soit en terme géographique ou de moralité, est particulièrement crue. Le récit, narré par un gamin criminel, Dexter en culottes courtes, ajoute encore au malaise. Son point de vue, exempt d'affect ou de culpabilité, y prend un ton brutalement naïf, accentuant encore plus le malaise que procure le compte-rendu quasi clinique de l'exécution de son projet.

Au dessin, Jonathan Munoz opte pour un style faussement enfantin qui colle avec l'âge du narrateur et évite de tomber dans la complaisance. Il croque des trognes à la fois grotesques et vivantes, composant une sacrée galerie de dégénérés. Sa mise en couleur joue intelligemment sur des dominantes jaunâtres pour le jour et bleues pour la nuit, contribuant à créer une ambiance poisseuse parfaitement adaptée.

Ce récit court et percutant est l'adaptation d’un roman de Jean-Luc Luciani. Il fut initialement publié (et chroniqué) en 2012 aux éditions Physalis et reçut le prix SNCF du polar en 2013. Elle est rééditée en ce début d'année 2021 aux éditions Petit à Petit, surfant sur la popularité grandissante de la série RIP et de son scénariste, Gaet's. Ce dernier annonce d'ailleurs qu'il n'en a pas tout-à-fait terminé avec cette histoire. Si vous aimez les séries noires, n'hésitez pas !