Elles (Toussaint/Stokart) 1. La nouvelle(s)

F arid, Linotte, Maëlys et Otis forment un groupe d’adolescents assez équilibré et pas particulièrement populaire. Un matin, la rumeur va bon train. Il paraît qu’une nouvelle a atterri dans le collège Mercury. Alors que le quatuor est trop occupé à discuter de ces qu'en-dira-t-on, Elle, la fameuse dernière arrivée s’adresse à eux afin de les informer de la reprise des cours. À peine quelques instants plus tard, Elle recadre Safia et Justine, des midinettes absolument insupportables et hautaines. Maëlys en est ravie et l’intégration de cette jeune fille bienveillante et audacieuse au sein de la bande coule de source. Pourtant, après plusieurs semaines de parfaite cohésion, cette recrue devient arrogante et agressive puis, tout à l’inverse, craintive et renfermée. Mais quel est ce combat qui semble se dérouler à l’intérieur de la cervelle de cet enfant ?

Le scénariste à succès Kid Toussaint a dégoté une acolyte talentueuse. Tous deux, ils ont concocté un récit plus dense et mystérieux que ce que peut laisser présager le premier abord. En effet, au-delà de l’ambiance Teen-agers à l’américaine, se découvre une exploration des différentes personnalités de l’héroïne. Celle-ci a un esprit fragmenté composé d’au moins cinq entités aux traits de caractères très prononcés. Elle – dont les auteurs aiment à rappeler que c’est un palindrome – se laisse envahir par une de ses identités au gré des événements qu’elle affronte. Agressée et pressée, Blondie prendra le relais et fera peser sa combativité et sa compétitivité. Affronter un auditoire, c’est l’angoisse de Brune. Verte adopte une posture mutique visant à protéger l’intégrité de son hôte. Extravertie, Violette surgit dès lors qu’une espièglerie peut être réalisée. Enfin, il y a Rose la mesurée. Celle qui est présentée comme le socle commun de toutes les autres. Seulement, une question se pose : n’y a-t-il pas une individualité machiavélique ou davantage manipulatrice ?

« Tu ne pourras pas me retenir éternellement. Tu le sais. »

Ce voyage dans la description de cette altération mentale est allégé par le ton général de l’album, très feel good. Le récit est également porté par des faire-valoir qui jouent pleinement leur rôle. À ce titre, Linotte excelle pour détendre l’atmosphère et le duo masculin, Otis - Farid, diversifie les préoccupations. Sans compter que l’écrivain impulse une véritable quête aux trois-quarts de ce tome inaugural, qui permet au lectorat de sortir de la routine estudiantine.

Aveline Stokart livre, quant à elle, une copie au visuel époustouflant. Son dessin assisté par ordinateur est du même acabit que celui d’Arthur de Pins sur Zombillenium. Le rendu est exempt de cadre et de contours. Le jeu d’acteur est privilégié sur celui de l’angle de la caméra, laissant une bonne part des émotions se nouer sur la forme des yeux, le pli des paupières ou encore l’intensité d’un regard. En outre, l’illustratrice possède un style très coloré qui favorise la représentation du trouble dissociatif en associant la teinte d’une chevelure à chaque profil. Le lecteur comprend automatiquement le procédé et suit le déroulement de l’histoire sans incompréhension. Lumineuse et expressive, la partition graphique est digne des meilleurs studios d’animation !

La maison d’édition Le Lombard souhaite installer durablement la série Elles dans le paysage du neuvième art. Elle annonce donc une saga ouverte et une parution d’un volume par an. L’artiste va ainsi devoir tenir la cadence et le niveau qu’elle imprime sur cette belle amorce.

Des tempéraments complexes, un scénario à rebondissements et une image cinématographique, cet opus bénéficie de tous les atours pour combler vos chères têtes blondes !

Moyenne des chroniqueurs
7.3