Les gens de rien Jusqu'au printemps

M arie et Louise sont inséparables. Alors que la première se méfie des hommes, la seconde veut des enfants ; elle se trouvera un mari qui lui en fera quatre. Bien qu’il soit connu que l’amour brise les amitiés, les deux copines resteront liées. La célibataire embrasse la carrière d’enseignante au primaire et travaille invariablement avec des gamins âgés de sept ans, ceux qu’elle préfère. Elle n’a jamais rencontré l’âme sœur, s’en est d’abord désolée, puis a pris goût à cette existence solitaire ponctuée d’amants de passage. Alors qu’elle est septuagénaire, Charles Masson, un oto-rhino-laryngologiste qui est également bédéiste, lui diagnostique un cancer de la gorge.

Au départ, le narrateur apparaît omniscient et le lecteur ne lui prête pas vraiment attention. Dès le deuxième acte, lequel correspond au début de la maladie, le propos se révèle celui du médecin. L'histoire n'est d’ailleurs plus vraiment celle annoncée. Fondamentalement, à travers le portrait d’une femme, il parle de lui, de sa pratique et des relations, parfois distantes, entretenues avec les malades.

Le cycle constitue le cœur de ce projet. Au premier chef celui des saisons. L’été coïncide avec la fin de la relation fusionnelle entre les amies, l’automne au verdict médical, l’hiver au combat pour assurer la survie du personnage central jusqu’à l’exact moment du solstice. En apparence libre, elle se rassure par un certain immobilisme : ne pas s’engager affectivement, systématiquement enseigner au même niveau… célébrer les premiers froids devant un traditionnel plat d’andouillettes servies dans un bouchon. Bref, sa vie ressemble à une série de recommencements rassurants.

Le coup de crayon de l’artiste se montre sympathique. Les comédiens sont presque schématiques, aisément reconnaissables à leur coupe de cheveux ou à leur tenue vestimentaire ; par exemple, tous les tricots, maillots ou robes de l’héroïne sont de la couleur des coquelicots. Le dessinateur soigne davantage ses décors, particulièrement ceux des quartiers lyonnais. Le livre adopte en bonne partie la bichromie, avec une abondance de rose et de rouge. Ironiquement, le printemps, qui marque le crépuscule, propose une déferlante de teintes.

Un récit tendre, au sens noble du terme.

Moyenne des chroniqueurs
6.0