Dessiner encore

D u 2 septembre au 16 décembre 2020, la Cour d’assises spéciale de Paris a audiencé le procès de quatorze soutiens présumés des auteurs des attentats contre Charlie Hebdo, l’Hyper Cacher et l’assassinat de Clarissa Jean-philippe, policière à Montrouge. Les survivants ont été appelés à la barre pour témoigner. Seulement, comment affronter les médias, la solennité de la justice et les mises en cause lorsque tout n’est que culpabilité ?

Corinne Rey, alias Coco, plie sous le poids des larmes depuis la tragédie du 7. Ce jour-là, la jeune maman clopant en dehors des bureaux, est alpaguée par deux individus armés. Prise en otage par ces hommes vociférant leurs menaces de mort, elle compose le code d’entrée des locaux du journal satirique. Et à partir de cet instant, ça bourdonne dans sa tête : « Et si j’avais appelé au secours ? Et si j’avais essayé de m’enfuir ? Et si je les avais poussés dans l’escalier ? Et si j’avais pu alerter les autres ? ... »

La caricaturiste ne veut pas s’affranchir de s’exprimer lors de l’audience. Elle le fera d’ailleurs. Néanmoins, le processus de prise de parole reste complexe. À force de chercher les mots, les rescapés se murent dans le silence. Il semble plus approprié, mais entraîne une forme de tabou. C’est la paralysie de la pensée et le développement de syndromes dépressifs, d’insomnies à répétition et de souffrances post-traumatiques. À l’instar de Luz, Catherine Meurisse, Riss et Philippe Lançon, Coco libère finalement son verbe par l’intermédiaire d’un livre.

Celle qui prendra le relais de Willem, à compter du 1er avril prochain, au sein des pages de Libération, est une véritable dessinatrice de presse. A contrario, son approche du médium bande dessinée dilue partiellement l’impact émotionnel de son propos. Sa contribution peut se résumer alors à une paire d’évocations abouties et bouleversantes. D’abord, le tsunami des sentiments qui l’étouffent, incarné par ces vagues d’un bleu profond qui déferlent. La piquante illustratrice reprend pied, elle se surprend par sa combativité et une lame de fond la désarçonne à nouveau. Comme si la bataille devenait éternelle, brinquebalée par la puissance d’un événement qui la dépasse. Et surtout, la séquence « Et si ? » où l’irruption du rouge est lourde de sens. Au fil de ces quelques planches, les cases se multiplient jusqu’à atteindre une limite. Puis, le gaufrier se fragmente et en transparence apparaît, d’un trait jeté, l’artiste. Stoïque. Inexpressive.

Présent durant de la conférence de rédaction et gravement blessé, Philippe Lançon évoque, avec verve, dans Le Lambeau, le tourment que représente « la solitude d’être vivant ». Au fil de Dessiner encore, Coco dépeint cette même angoisse, envahie à tort par la honte. Une triste autopunition qu’elle esquisse ad lib.

Moyenne des chroniqueurs
6.8