Ivalu

G roenland, aujourd’hui. Le village est en effervescence, car la Reine du Danemark débarque bientôt en visite officielle ! La maîtresse a demandé aux enfants de mettre leurs beaux habits traditionnels et a distribué des petits drapeaux aux couleurs de la nation-mère. De son côté, Pipaluk n’est pas pressée de participer à ces festivités. Son costume est trop court et elle est obligée de porter celui de sa sœur Ivalu. Celle-ci n’est plus là et ça la rend tellement triste. Ah, si seulement elle avait quelqu’un à qui se confier pour expliquer sa peine et les raisons de cette disparition.

Derrière d’extraordinaires paysages de roche et de glace se cache une terrible fable contemporaine résumant tous les drames et les défis auxquels font face les Inuits. Morten Dürr n’a malheureusement pas dû chercher très loin pour composer son scénario tant les faits divers des journaux des régions arctiques relatent inlassablement ces mêmes types d’incidents tragiques. Abus divers, violence, maltraitance, la liste de ces ignominies semble sans fin. Pour raconter le pire, le scénariste a imaginé un long monologue évanescent où son héroïne se confie à un corbeau, l’animal tutélaire des siens. Le bonheur d’avoir une grande sœur, les jeux incessants dans cette nature si belle et généreuse, la vie était si heureuse ! Le côté sombre est également évoqué, rapidement, comme s’il ne fallait pas réveiller les démons. Peut-être aussi avec le faux espoir que, pour cette fois, l’issue sera différente. Cela est vain, évidemment. Le choc a bien lieu quand l’insoutenable révélation tombe à nouveau, c’est la fin du rêve. Et la Reine dans tout ça ? Elle est déjà repartie.

Visuellement, Lars Horneman rend une copie lumineuse d’une beauté à couper le souffle. Le cadre géographique joue assurément en sa faveur, encore fallait-il l’aborder de la bonne façon afin d’y intégrer adéquatement le poignant récit de Pipaluk. La mission s’avère réussie, particulièrement grâce à une mise en page très aérée et virevoltante. À ce chapitre, les cadrages léchés et le découpage ouvert permettent d’élargir encore plus la narration en lui conférant quasiment une dimension supplémentaire. Même s’il ne peut nier sa longue carrière d’illustrateur, le dessinateur démontre qu’il a parfaitement acquis les codes de la bande dessinée.

Atmosphérique, intimiste et d’une gravité désespérée, Ivalu est une lecture prenante et infiniment touchante. Morten Dürr et Lars Horneman réussissent un petit bijou de sensibilité et d’humanité mettant en relief une réalité intolérable et peu connue au sud du Cercle polaire.

Moyenne des chroniqueurs
7.0