Terra prohibita 1. Premier acte

E n 1909, des champs de culture expérimentale recouvrent une partie du Sahara, une cité aérienne britannique s’est développée et Paris présente une physionomie céleste de pierre et de métal, entre angles haussmannien adoucis et rondeurs futuristes. L’inspecteur Melville traque un certain Dorian Singer, biologiste réputé et soupçonné de plusieurs meurtres, dont les mobiles restent obscurs. De son côté, la détective privée Valérie Kerveillan est recrutée pour retrouver Pierre-Alexandre Dupré, agent du ministère de la contamination. Les protagonistes doivent entrer illégalement dans la zone de quarantaine du quartier du Grand Palais, envahi par une végétation aussi luxuriante que nocive. Que s’est-il passé pour que les autorités empêchent l’accès de l’arrondissement ? Qu’est-ce que cette flora vampirica tant redoutée ?

Après Le Voyage extraordinaire, Denis-Pierre Filippi investit à nouveau l’univers steampunk. Cependant, cette fois, c'est sans l’innocence et l’inconscience des enfants. Terra prohibita, prévu en deux volumes, a pour cadre une mystérieuse contagion botanique et les secrets d’état qui y sont afférents. Police mise en difficulté, enquêtrice privée au caractère bien trempé, personnages doubles, associations d’intérêt et trahisons de bon aloi forment la toile de fond de cette aventure menée tambour battant. Les dialogues sont parfaitement ciselés et les personnages ont l’épaisseur requise pour susciter l’intérêt. Reste que plusieurs pistes narratives sont ouvertes et qu’il peut être légitime de s’interroger sur la capacité d’un seul et dernier tome à les mener à terme.

Cela étant, cet album est avant tout une esthétique. Fidèle aux codes du style choisi, il regorge d’élancements, de rondeurs, d’arabesques, de verre et d’artefacts décoratifs. Ode aux extrapolations de l’Art Nouveau, les paysages urbains, les habitations, les objets et les vêtements expriment sans retenue les courbes féminines et l’inspiration assumée de la nature. Patrick Laumond (John Lord, déjà avec Filippi), bien qu’œuvrant essentiellement dans le jeu vidéo, éclabousse les pages de son talent et de son imagination. Les vues de son Paris fantasmé incitent l’œil à se perdre dans une nuée de détails. Les plans intérieurs rivalisent d’élégance et d’audace. La végétation non maitrisée s’harmonise avec les ouvrages bâtis qui s’en inspirent, créant une entité semi-naturelle semi-ouvragée, dont les couleurs vives et harmonieuses dissimulent la dangerosité sournoise.

Terra prohibita
ne révolutionne pas le genre mais l’illustre parfaitement. Les amateurs le rangeront sans hésiter auprès de La Ligue des gentlemen extraordinaires, du Régulateur ou du Réseau Bombyce. Le steampunk n’a pas encore tout dit ; c’est une bonne nouvelle.

Moyenne des chroniqueurs
6.0