Maharadchat

C hef d’entreprise, Jacques Berdemol est au bout du rouleau. Les affaires ne vont pas fort et il en est arrivé à détester son secteur d’activité (la nourriture pour chat). En fait, ce qu’il rêverait de faire, c’est de tout envoyer balader et devenir vigneron. Malheureusement, ce n’est pas si simple. Dans l’idéal, il faudrait qu’il liquide son usine via une faillite. Seulement, les acteurs locaux (le maire, la chambre de commerce, etc.) s’activent à dénicher des nouveaux investisseurs afin de relancer la machine et sauver des emplois. Alors, pour oublier, il boit et pas qu’un peu.

Récit acide et désabusé comme peuvent l’être certains films de Jean-Pierre Mocky ou Jean Yanne, Maharadchat est une charge généralisée contre la société contemporaine dans son ensemble. Un personnage principal affreux, voire abject, une avalanche de critiques cinglantes mettant au pilori l’industrie agro-alimentaire animale, les politiques, les antispécistes, le néolibéralisme et tous les aspects possibles de la veulerie humaine, Wilfrid Lupano ne s’autorise aucune forme de pitié ou d'arrière pensée. Il fallait bien tout le talent du scénariste du Singe d’Hartlepool pour transformer ce réquisitoire en une fable cohérente et, soyons honnête, particulièrement drôle de par son côté bête et méchant. Cependant, mieux vaut avoir le second degré solidement accroché pour apprécier entièrement cette rocambolesque descente aux enfers. En effet, celle-ci n’offre que bien peu de branche auxquelles se raccrocher. Tous les protagonistes sont tellement pitoyables qu’il est vraiment très difficile de se sentir touché ou simplement concerné par leur sort.

À propos extrêmes, dessinateur à la plume bien pendue : Relom a évidemment répondu présent est s'en donne à cœur joie pour illustrer cette satire sociale acerbe avec sa gouaille graphique habituelle. Ils sont laids, respirent la vulgarité ou la méchanceté, quand ce n’est pas la misère intellectuelle. À part peut-être Nathalie, la tenancière du troquet, toute la distribution surnage dans une médiocrité méticuleusement retranscrite. La grande force de l’artiste est de ne jamais tomber dans la caricature gratuite. Non, plus subtilement, il se limite juste à légèrement forcer son trait pour souligner les caractères. Résultat, malgré l’outrage permanent de la narration, tout son petit monde reste totalement réaliste et reconnaissable. Corollaire à cette approche voilée, l’effet de miroir qui en résulte se montre à la fois effrayant et admirable.

Globalement un peu trop outrancier dans son déroulement et sa tonalité, Maharadchat s’avère néanmoins être une lecture jouissive et impertinente que tous les amateurs de conte décalé et de brûlot politiquement incorrect devraient apprécier.

Moyenne des chroniqueurs
5.5