Dans le taxi

D e retour à Tripoli (Liban), Barrack prend le temps de la réflexion lors du trajet qui le mène de l’aéroport à sa destination. Taxi collectif oblige, ses pensées se mêlent à celles des autres usagers. Grands moments historiques fusionnent avec anecdotes contemporaines et rêves inavoués ou inavouables. Difficile de retrouver sa source originelle quand tant de bras et d’affluents quadrillent son chemin.

Entre deux reportages dessinés, Barrack Rima propose un prolongement à sa Trilogie sur Beyrouth avec Dans le taxi. Laissant la capitale de côté, il se penche cette fois-ci sur l’autre grande agglomération de son pays : Tripoli. Plus de deux mille ans d’Histoire alternant périodes fastes ou de déclin, le programme est chargé, surtout que l’auteur ne se donne que le temps d’une course en taxi pour tout résumer ! Alors, après une courte introduction générale, il préfère laisser filer son esprit et fier aux bavardages des autres clients pour rythmer ses méditations de voyageur déraciné en visite après des années d’exil volontaire. Pièces éparses de discussion et racontars autour des choses de la vie moderne alternent avec des observations plus personnelles ; il est question de poésie, d’art et de sexualité. Il en résulte une balade particulièrement habitée et révélatrice où l’amour pour ce lieu qui l’a vu naître perdure toujours et encore, malgré l’éloignement. Le blues du migrant qui réalise, pour le meilleur et le pire, tout ce qu’il a manqué depuis son départ dans une Europe cristallisant tous les fantasmes de ceux qui sont restés de ce côté de la Méditerranée.

Adepte des techniques mixtes, le dessinateur a discrètement tempéré un austère N&B par l’entremise de découpages, de collages et de photographies. Le trait réaliste qui cherche avant tout la vérité via les regards se retrouve adouci par cette approche à la limite du bricolage. Ce style passé de mode depuis l’avènement du dessin numérique permet également de souligner, avec pas mal d’espièglerie, le côté déglingué de cette ville tellement rapiécée par les crises et les reconstructions successives. Et puis, il y a les gens, ceux-ci sont croqués dans leur entièreté, grands et petits défauts y compris. « Je suis aussi comme eux, puisque nous partageons les mêmes racines » finit par avouer le narrateur, « ils sont donc en droit d’être cités tels quels dans mon roman ».

Doux-amer sans être nostalgique, rafraîchissant comme le vent du large, mais aussi étouffant comme peuvent l’être les grandes familles, Dans le taxi est une excellente lecture mêlant introspection et hommage à ses origines.

Moyenne des chroniqueurs
6.5