Les indésirables

K iku vit avec sa mère, d'origine japonaise, à Seattle. L'adolescente ne l'a jamais vraiment questionnée sur son passé, et sa maman n'aime pas aborder le sujet. De fait, la jeune fille ignore ainsi quasiment tout de ses racines. Pourtant, elle sait que sa grand-mère jouait du violon et parlait même nippon ! Ce manque pourrait toutefois être rapidement comblé car depuis quelques temps, il arrive de drôle de choses à Kiku...

Grâce au mystère sur lequel s'ouvre l'histoire, les lecteurs se retrouvent très vite happés et leur curiosité piquée. Qu'arrive-t-il à Kiku ? Rêve ou réalité ? Réussira-t-elle à revenir ? Et que va-t-il advenir de ses compagnons d'infortune ? Tout en créant ce suspense, l'autrice aborde un épisode guère reluisant pour la première puissance mondiale. Le traumatisme de Pearl Harbor ne peut pas tout excuser. L'histoire familiale, notamment celle de sa grand-mère, sert de fil conducteur à une trame bien menée. Kiku Hugues mêle le passé et le présent avec un savoir-faire indéniable tout en évitant le piège du larmoyant.

En brossant les portraits de différents profils, elle offre une vision assez large de la situation. De ceux qui abdiquent et se résignent en attendant que leur sort s'améliore aux no-no Boyz, résistants pacifiques, qui paieront leur défiance. Dépourvu d'hémoglobine ou d'exaction, son histoire n'en est pas moins violente par ce qu'elle pointe : un maccarthysme avant l'heure qui va conduire aux déplacements de plus de 110 000 japonais installés outre-Atlantique et nippo-américains dans ces War Relocation Centers. Pour adoucir ce propos, elle adopte un trait simple et net. Malgré des arrière-plans chiches, l'autrice parvient à installer de belles ambiances. Tout au long des deux cent trente six planches, elle maintient l'intérêt au point qu'il est facile de pardonner les quelques manques de rythme. Plus contemplatif et introspectif qu'accusateur et vindicatif en somme.

Avec beaucoup de pudeur, mais aussi de force, Kiku Hugues réussit son entrée dans le neuvième Art. Les indésirables mettent un coup de projecteur sur un pan de l'histoire nippo-américaine peu connu dans nos contrées tout en livrant un beau message pour que les nouvelles comme les anciennes générations ne laissent pas la peur de l'autre et la bêtise guider leurs pas.

Moyenne des chroniqueurs
6.5