Le labo (Bourhis/Varela) Le Labo

L a révolution informatique a débuté à la fin des années soixante au sein de laboratoires américains, particulièrement en Californie. Très techniques et inutilisables pour le commun des mortels au départ, il faudra attendre une bonne dizaine d’années et quelques bidouilleurs de génie pour que les ordinateurs atteignent un plus grand public. Ça, c’est l’histoire officielle, celle qui se trouve dans les livres. En réalité, tout s’est passé en France ! La chose est peu connue, mais la majorité des découvertes qui ont mené au monde numérique d’aujourd’hui ont été imaginées, conceptualisées et construites à l’intérieur du département R&D de la Bercop, une compagnie de photocopieurs sise dans la petite localité de Beyariac, Nord-Charente. Malheureusement, suite à une série de déboires industrio-économiques et de malheureuses décisions politiques, ces précieuses technologies ont été abandonnées et récupérées par la suite par des petits malins de la Silicon Valley.

Entre uchronie et plaisir pur de raconteur, Hervé Bourhis ré-imagine dans Le Labo les étapes qui ont mené au développement des premiers Mac ou PC à l’orée des années quatre-vingt. Plutôt que de proposer un nouveau Petit livre comme il l’avait fait pour le Rock, la Bande dessinée ou la Black Music, il a préféré la fiction décalée afin d’arriver à ses fins. Il en profite aussi pour offrir un portrait bien senti de la société de l’époque et des effets, directs ou voilés, provoqués par la contre-culture sur celle-ci. Ultra-documenté, le scénario se montre si bien ficelé que les péripéties et les trouvailles de Jean-Yves et de ses comparses bigarrés en finissent par être plus que plausibles. Ce travail de transposition d’une réalité dans une autre possible s’avère tout bonnement formidable.

Lucas Varela prête sa plume pour narrer ce récit « presque vrai ». Dessinateur à l’univers varié (SF, anticipation, BD documentaire, relecture assassine de titres du répertoire), il s’est très bien adapté à cette narration mêlant progrès scientifique et terroir charentais. En effet, même si les Freaks Brothers font une petite apparition en fournisseurs de littérature et de produits de leur cru, il s’agit également d’un roman initiatique dans les règles de l’art. Le jeune Jean-Yves, pour s’émanciper de son père, devra faire un long parcours (en partie à la course à pied, une nouvelle mode made in USA arrivée récemment dans l’Hexagone) avant de pouvoir se révéler à lui-même. La mise en scène variée et le découpage précis rend compte de ce cheminement personnel avec des planches classiques qui se mettent à onduler, voire à exploser lors d’épisodes visionnaires à forte teneur en THC. Les images répondent aux textes sur la même longueur d’onde, cette cohésion entre propos et illustrations est certainement pour beaucoup dans l’ambiance unique de ce conte à haut degré de potentialité.

Et, au final, pourquoi pas ? Le dosage entre faits avérés et pure invention est tellement intime qu’il permet tous les fantasmes. Étrange et un peu bizarre au premier abord, l’approche originale du Labo se montre rapidement probante et captivante. Bravo les artistes.

Moyenne des chroniqueurs
6.0