Yellow Cab

D e nos jours, lassé de réaliser des longs métrages et des séries pour le petit écran, Benoît Cohen, un Français exilé à New York, est en panne de motivation. Faire un break dans le milieu cinématographique s'impose et serait également l'opportunité d'aller chercher l'inspiration pour un prochain scénario dans le cœur même et la diversité de la mégalopole où se heurtent douceur et violence. À coup sûr, son choix de devenir un « cab driver » lui ouvrirait cette perspective d'immersion.

En 2017, Flammarion publie Yellow Cab un ouvrage autobiographique signé Benoît Cohen, dans lequel il relate avec justesse et précision la parenthèse professionnelle qu'il s'est octroyée au profit d' « un métier qui s'arrête lorsqu'on gare la voiture et que l'on dépose les clefs de contacts. » Christophe Chabouté (Purgatoire, Pleine Lune) s'empare de cet épisode pour le retranscrire à travers un volumineux roman graphique. Véritable tournant et remise en question dans la carrière du cinéaste, le récit s'emploie à décrire minutieusement son itinéraire et ses rencontres, en passant par les nombreuses et lentes démarches administratives pour parvenir jusqu'à la délivrance de la fameuse et tant convoitée licence de chauffeur de taxi. Le trajet se poursuit au coté du conducteur, le lecteur devenant le témoin privilégié de ses courses ainsi que des bavardages intimes avec sa clientèle dont il espère se nourrir pour alimenter le script d'un futur film. « You're talking to me ? » Le rêve américain existe, mais il montre vite sa réalité et ses limites.

Feuilleter un « Chabouté » c'est avoir l'assurance de ressentir un réel plaisir visuel. Fidèle à sa conception du graphisme entièrement dépourvu de couleur, additionné à un trait remarquablement réaliste, lui permet de donner une profonde dimension à ses personnages et à ses lieux. L'auteur s'amuse avec le noir et blanc, donnant une priorité absolue à son dessin en ne l'encombrant pas de dialogues inutiles. Il préfèrera les déposer en dessous sous la forme de légendes narrées à la première personne du singulier. Ainsi, les regards et les silences pesants qui se dégagent des cases muettes, pour certaines sans aucune délimitation, sont aussi éloquents sinon plus. De même, les prises de vue sont recherchées et travaillées, à l'image de cette sublime planche, laquelle, comme un symbole, rend hommage au chef-d'œuvre de Sergio Leone, Il était une fois en Amérique.

Non content d'envoyer de très jolies cartes postales de la fascinante « big apple », Yellow Cab véhicule une composition humaine riche d'enseignements.

Moyenne des chroniqueurs
6.3