Le château des Animaux 2. Les Marguerites de l'hiver

L e taureau règne avec une patte de fer sur son royaume. Épaulé par ses mâtins, il impose la loi et la terreur. La situation est intenable et la révolte gronde. Sous les conseils d’un rat pacifiste, la chatte Miss Bengalore convainc le peuple de répondre par l’ironie plutôt que par la violence. Marguerite la poule a été injustement condamnée et déchiquetée par les chiens, qu’à cela ne tienne, la ménagerie lui rendra hommage et défiera le potentat en peignant sur les murs des fleurs aux pétales blancs. L’autocrate n’appréciant guère que les petites gens se moquent de lui, la répression est féroce.

Les Marguerites de l’hiver, deuxième opus du Château des animaux, s’inscrit dans la continuité du premier. Tout comme La ferme des animaux de George Orwell (dont Xavier Dorison s’inspire ouvertement, mais librement), le récit se veut une dénonciation du totalitarisme. L’allégorie, portée avec beaucoup de finesse par des personnages archétypaux, illustre avec adresse les jeux de pouvoir. Quelques-uns se collent servilement à ceux qui le détiennent, d’autres maugréent, sans pour autant réagir, certains prennent le risque d’élever le ton, puis il y a ceux qui agissent en douce. Ironiquement, ce sont les bestioles en apparence les plus frêles qui font preuve de détermination et espèrent changer le monde. Bien que la démonstration soit réussie, l’épisode souffre d’un rythme un peu lent ; le propos surfe sur une seule idée, certes intéressante, mais l’histoire ne progresse pas beaucoup dans ce deuxième acte.

Le coup de pinceau de Félix Delep se révèle exceptionnel. Le bédéiste, encore tout jeune, a l’assurance d’un vieux routier. Animer le faciès d’une bête demeure un art délicat. Si le dessinateur n’en fait pas assez, l’émotion n’est pas au rendez-vous ; s’il souligne trop les traits, l’acteur s’humanise et ce n’est pas l’objectif d’une bande dessinée animalière. L'artiste arrive toutefois à bien doser les ingrédients ; les félins, rongeurs et gallinacés ont tous, particulièrement dans le regard, un je-ne-sais-quoi qui fait mouche.

En 1945, la dictature comptait de nombreux adeptes : Francisco Franco en Espagne, Benito Mussolini en Italie, Antonio de Oliveira Salazar au Portugal et, surtout, Joseph Staline en URSS. Le roman de George Orwell se montrait alors d’une indiscutable pertinence. Trois quarts de siècles plus tard, les tyrans ne sont plus les mêmes. Dénoncer les despotes apparaît presque vain. Aujourd’hui, l’abus loge ailleurs, par exemple du côté des théocraties.

Moyenne des chroniqueurs
7.4