Sheïd 1. Le piège de Mafate

L e Haut-conseil de l’Empire annonce l’entrée en guerre afin de briser le souffle de la révolte et répondre aux provocations des insurgés Talhuas. Ces fanatiques ont détruit un bastion impérial durement acquis sur les Terres du Grand Brulé. Seulement, le Maître Pradhi tente de calmer les ardeurs des membres les plus vindicatifs de l’assemblée et, précisément, des représentants de l’ordre des Lamaneurs. Cet éminent archéologue travaille secrètement sur la mystérieuse Glyphe. Une recherche peu appréciée puisqu’elle rappelle les heures sombres du Royaume où les hommes ne s’étaient pas affranchis des anciens dieux et où le commerce ne jouissait pas d’une telle croissance. Sheïd est de retour à Mafate, la splendide capitale qui baigne dans un soleil éternel. Il apporte un énigmatique petit panier dont l’intérieur semble receler une tête. Mhaus, le chef de clan, satisfait de cette sinistre besogne, lui règle les vingt tales prévus. Il lui propose également une affaire hautement rémunératrice : ramener le pacifiste patriarche en contrepartie de précieuses fioles d’ombresève. Une incroyable récompense pour une mission bien trop aisée en apparence !

Après seize années de production consacrées à la série Les Forets d’Opales, Philippe Pellet a disparu des radars du neuvième art. Pour les amoureux de l’Heroic Fantasy, cette absence s’est fait ressentir et nombreux sont ceux qui se sont langui de retrouver le dessin détaillé de l’artiste. Une forte attente largement comblée par la parution du premier volet de sa nouvelle saga.

Toujours dans le giron de Christophe Arleston, néanmoins, ce coup-ci, seul aux manettes, l’illustrateur s’engage sur la voie d’une trilogie de fantaisie résolument adulte. Son canevas scénaristique repose sur des manœuvres politiques et autres tractations de pouvoir où les relations de force sont progressivement exposées. Le décorum dénote des habituelles inspirations arthuriennes. Les châteaux aux pierres froides et autres bois magiques sont écartés au profit d'un climat aride et du souk vivant, laissant poindre une influence du courant orientaliste. Cette sensation est renforcée par les palettes chaudes et solaires de Tanja Wenisch. Le lecteur peut ainsi renouer avec le dépaysement ressenti en séjournant au sein de la tétralogie Alim le tanneur de Wilfried Lupano et de Virginie Augustin, ou bien au gré des pages de La Forteresse de la Perle (1989), second tome du cycle d’Elric de Mickaël Moorcock.

Alors même que son ambition est de conter une fresque consistante, Philippe Pellet opte pour un traditionnel 48CC à la dimension contraignante. Il décide de happer son lectorat par de belles scènes d’exposition et de longues séquences d’action, maintenant volontairement des zones d’ombre sur des matières au cœur de l’histoire (notamment le gaz de Naka et la Glyphe). Il rattache son récit au réel en évoquant la religion et l’économie, tout en brassant un vocabulaire éprouvé par le genre - fait d’onguent, de nefs et de guilde. En vue de renforcer la crédibilité de son intrigue, l’auteur confine en arrière-plan, son bestiaire imaginaire et ses splendides bateaux volants au gaz extrait des Terres volcaniques du Grand Brulé. Côté personnage, son antihéros est plongé, malgré lui, dans une quête dont il méconnaît encore les enjeux, mais dans laquelle il pressent une opportunité de faire fortune. Véritable prologue, cet album plante aussi les principaux antagonistes, à savoir une caste peu recommandable évoluant dans les tréfonds oppressants des bas-quartiers et une puissante maîtresse très âgée aux traits masculins qui trône parmi l’élite de la haute-cité.

Le piège de Mafate – opus initial de la série Sheïd – introduit remarquablement une narration oxymorique, à la fois fantaisiste et réaliste. De belle facture, rondement mené et équilibré, l’épisode réussit en outre l’exercice du très attendu cliffhanger. Le rendez-vous est pris. Vivement la suite !

Moyenne des chroniqueurs
6.5