Les jardins de Babylone Les Jardins de Babylone

D es tuyaux plongent dans des rivières, des lacs... ils pompent l'eau, l'acheminent à travers de vastes étendues arides jusqu'à des installations titanesques où ils déversent leur précieuse cargaison dans de gigantesques réservoirs qui sont envoyés vers la Lune, devenue le refuge des riches et des puissants. L'or bleu y coule à flots, irriguant de vastes jardins d'agrément, des piscines, des saunas... Pendant ce temps, sur Terre, la sécheresse menace et la population tente de grappiller quelques gouttes du précieux liquide pour subsister. La colère gronde.

Nicolas Presl revient avec une fable d'anticipation qui allie critique politique et désastre écologique, non sans une solide touche d'humour noir. Il évite pourtant la facilité et le manichéisme qui consisterait à mettre en scène une opposition binaire entre l'élite qui, depuis sa tour d'ivoire, et le peuple, victime innocente de l'arrogance de la classe dirigeante. S'il dénonce l'égoïsme et l'avidité des hommes, il rappelle aussi qu'elles se rencontrent dans toutes les couches de la population, quitte à proposer une image bien sombre de l'humanité. La médiocrité n'est pas affaire de classe sociale.

Les Jardins de Babylone se présente sous la forme un récit choral, multipliant les personnages et les intrigues se mêlant au fil de courts chapitres s'attachant à l'un ou l'autre protagoniste. Une telle construction est d'autant plus difficile dans un récit entièrement muet, procédé auquel l'auteur est fidèle depuis son premier livre. Il maîtrise parfaitement sa narration et traduit à merveille la complexité des situations et des émotions par la force évocatrice de l'image. Depuis la publication de [url=https://www.bedetheque.com/BD-Priape-58957.html]Priape[/url], en 2006, chaque nouvel ouvrage soulève la crainte que l'artiste ait atteint les limites de son style, et qu'il ne fasse plus que décliner une méthode qu'il domine, mais que la formule ne fonctionne plus. Et chaque fois, force est de constater qu'il parvient à se renouveler et à ne jamais donner l'impression de se reposer sur un savoir-faire. Les Jardins de Babylone est une étape de plus dans une œuvre singulière, résolument à contre-courant de la bande dessinée traditionnelle. Elle mérite largement qu'on s'y intéresse, parce qu'elle ne sacrifie en rien à la lisibilité et à la force universelle d'une bonne histoire. Ceux qui suivent Nicolas Presl depuis longtemps peuvent plonger les yeux fermés. Quant aux autres, pourquoi ne pas essayer quelque chose de différent, pour une fois ?

Moyenne des chroniqueurs
8.5