Libye

D e l’autre côté de la Méditerranée, sise entre la Tunisie et l’Égypte, la Libye focalise l’attention internationale au moindre de ses soubresauts. Si l’intervention armée controversée de 2011 a permis la fin du règne de Muammar Kadhafi, qu’en est-il aujourd’hui du pays ? Est-elle seulement cette terre qui réduit les migrants à l’esclavage ou les dépouille sans vergogne, un nouveau fief de Daech, ou encore la proie de milices et politiciens avides de pouvoir et d’argent ? Quels (en)jeux sous-tendent la réalité ? À qui profitent les abus dont les populations locales ou en transit sont les victimes ?

Journaliste d’investigation, Francesca Mannochi s’est associée à Gianluca Costantini, militant des droits de l’Homme et dessinateur, pour concevoir cette bande-dessinée documentaire dont le but consiste à éclairer l’épineuse question libyenne. Maîtrisant parfaitement son sujet, la scénariste articule son propos autour de six chapitres formant autant d’éléments d’une vaste fresque.

Pour cela, elle s’appuie sur les rencontres qu’elle a pu faire et qui montrent toutes un aspect particulier du tableau d’ensemble, lequel se révèle singulièrement complexe. Elle donne ainsi la parole à un ancien rescapé des geôles d’Abou Salim, à un garde-côte censé stopper passeurs et candidats à l’immigration, ainsi qu’à une jeune Érythréenne exilée qui a subi la mainmise des extrémistes se réclamant de l’État islamique. Cependant, elle n’oublie pas non plus de s’attarder sur le vécu quotidien qui prend la forme de queues interminables devant les banques où ne peuvent entrer que ceux qui plaisent aux diverses factions de miliciens. Elle relève aussi l’attente, longue et à peine portée par l’espoir, des familles dont les fils, maris, pères sont engagés au loin dans des combats qui paraissent ne jamais devoir prendre fin. À ces regards, l’autrice mêle nombre d’informations et de considérations géopolitiques qui viennent éclairer la situation et font prendre toute la mesure de l’enchevêtrement des différentes pièces d'un système chaotique où l'argent et les intérêts internationaux divergents prévalent sur l'humain.

Ce discours aussi dense qu’instructif est accompagné par le graphisme réaliste en noir et blanc de Gianluca Costantini. Des cartes, générales ou régionales débutent chaque partie, afin de mieux situer ce dont il est question. Puis, les illustrations s’imposent, peuplant les pages comme autant d’instantanés, auxquels les narratifs s'arriment. Quelques cases – souvent des portraits ou des cadrages resserrés – se démarquent du reste des planches, tandis que les phylactères des dialogues s’empilent et se fraient un chemin entre les images.

Fourni sur le fond et touffu dans sa forme, Libye remplit amplement son objectif d’informer le public sur la réalité d’un pays particulièrement instable. Il constitue une bonne approche sur le thème et, en cela, mérite de s’y arrêter.

Moyenne des chroniqueurs
6.0