Les chefs-d'œuvre de Lovecraft 5. L'appel de Cthulhu

L e professeur George Gammel Angell décède dans des circonstances mystérieuses. Son neveu, Francis Wayland Thurston hérite de l’ensemble de ses biens, parmi lesquels il découvre une curieuse sculpture en glaise à l’effigie d’une divinité inconnue et décorée de hiéroglyphes étranges. Le légataire est anthropologue de formation, alors le bas-relief et les archives qui l’accompagnent deviennent aussitôt son sujet d’étude. Il se plonge, avec un vif intérêt, dans le carnet de son défunt aïeul qui retrace d’abord l’entrevue avec un certain Mister Wilcox. Ce dernier aurait été la victime de rêves oppressants entre le 28 février et le 2 avril 1925. Il subissait, en songes, des rites païens et le larsen d’un dialecte énigmatique : Ph'nglui mglw'nafh Cthulhu R'lyeh wgah'nagl fhtagn.

L’anecdote de salon veut que Gou Tanabe ait connu une dure transition au début de l’an deux mille. Après diverses parutions de qualité, mais au succès mitigé, son éditeur l’invite à la lecture du classique, The Call of Cthulhu (1928, Weird Tales). Cette rencontre littéraire le convainc d’adapter l’écrivain américain. Pour autant, le mangaka inaugure, en 2014, ses transpositions par des essais moins populaires : The Hound (1921) ainsi que The Temple (1925). Ces versions inédites en France ont été compilées en Italie par J-Pop Manga (Il Mastino e altre Storie).

Finalement fort de la réussite de son entreprise d’adaptation, l’auteur nippon se confronte à L’appel de Cthulhu. Cette nouvelle est la pierre angulaire de l’univers de Howard Phillips Lovecraft (1890-1937). Ce récit demeure le plus conseillé à tous les néophytes en mal de frayeur. L’œuvre ne cesse d’influencer des créateurs de tous horizons, soit directement eu égard à la subtilité de la narration, soit indirectement en raison d’expressions artistiques se rapportant à la production du père de la terreur (du cinéma de Carpenter au designer H.G. Ginger, en passant par le trait de Breccia ou encore par la plume de Neil Gaiman). Les références finissent par s‘auto-alimenter. Les codes sont assimilés et véhiculés comme des lieux-communs de l’épouvante dont il serait approprié, par moments, de retourner aux origines !

Sans procéder à l’exégèse des textes du Maître de Providence, il convient notamment de rappeler que le nouvelliste empruntait les considérations de son temps. Aussi, les allusions racistes et antisémites concernant les adorateurs ne sont pas à minimiser. Ainsi, il importe de mettre au crédit du Japonais sa volonté d’expurger les pensées xénophobes du manuscrit. À l’instar de ses anciens travaux, il synthétise également les longues descriptions à la fois coquettes et indiscernables. L’ampleur cabalistique de l’insondable s’allège et gagne en limpidité, en particulier par des prises de vue précises et des tournures de phrases adroites. D’autre part, l’interprète respecte parfaitement l’enchainement des révélations et la construction en trois actes autour d’autant de chapitres indépendant en apparence (L’horreur d’argile, Le récit de l’inspecteur Legrasse et La démence qui vient de la mer). Le culte obscur s’apprivoise à travers un fatras de documents et la tension monte progressivement jusqu’au dévoilement d’une vérité incroyable.

Les points négatifs à relever sont identiques à ceux soulevés à l’endroit des précédentes adaptations. Le dessinateur possède quelques tics graphiques. En ce sens, les silhouettes et les émotions d’effroi peuvent être représentées de manière analogue. Une sensation surtout ressentie en comparant les planches des différents titres. Hormis ce léger bémol, la prestation de l’artiste est à couper le souffle. Les feuillets se succèdent avec une minutie rare. L’intéressé s’exprime, de surcroit, dans un découpage très franco-belge (fruit de l’influence de Katshuhiro Otomo). En outre, il offre des doubles pages sombres et divines. La noirceur de l’histoire est entretenue par une parfaite superposition de trames qui, comme évoqué lors des chroniques antérieures, donnent un aspect semblable aux eaux fortes des meilleurs graveurs naturalistes (Charles-François Daubigny, Lucien Gaultier, Adolphe Hervier).

La maison d’édition Ki-oon soigne l’objet. Elle encastre les récits de la collection Les Chefs-d’œuvre de Lovecraft à l’intérieur d’un écrin magnifique, imitation cuir et tampographié. L’effet grimoire est décuplé par le recours à un rouge lourd de sens, laissant les passionnés y voir une interprétation du Necronomicon du poète Abdul al-Hazred.

« N'est pas mort ce qui à jamais dort,
Et au cours des siècles peut mourir même la Mort
 » D’après l’Arabe dément.

L’attrait de la nouveauté ne pouvant fonctionner, le titre n’est pas poussé par le même allant de curiosité. Néanmoins, L’appel de Cthulhu présente, a minima, toutes les vertus relevées à l’occasion des précédents opus. D’ailleurs, à nouveau, le lecteur attend avidement la prochaine traduction du très talentueux Gou Tanabe. A priori, ce sera un autre monument de la littérature fantastique : Le Cauchemar d’Innsmouth (actuellement publié au Pays du Soleil levant, au sein du périodique Monthly Comic Beam de Kadokawa).

Moyenne des chroniqueurs
7.5