Les cités obscures 2. La fièvre d'urbicande

E n 1983 et 1984, La fièvre d’Urbicande est publiée en feuilleton dans le magazine (À suivre). Le projet devait être repris en album couleurs, à la condition que le tandem s’en tienne à une bande dessinée de quarante-huit planches, sinon ce sera un roman graphique en noir et blanc avec couverture souple, sans limite de nombre de pages. Aux auteurs de décider. Le récit s’annonçant ambitieux, ils font contre mauvaise fortune bon cœur, même s’ils se désolent de la rupture de format avec Les murailles de Samaris, le premier opus des Cités obscures.

Le scénario est connu, une structure cubique est posée sur le bureau de l’urbatecte Eugen Robick. Rapidement, elle commence à croître, causant trouble et désordre dans une ville assujettie à un régime totalitaire où l’architecture est soigneusement équilibrée, du moins dans sa partie sud. L’agglomération est séparée par un fleuve qu’il est interdit de franchir ; la charpente finira pourtant par lier les deux solitudes. Trente-cinq ans plus tard, le dessin de François Schuiten est toujours aussi magnifique et la fable de Benoît Peeters percutante. Allez savoir si elle ne préfigurait pas la chute du mur de Berlin quelques années après la publication.

Aux deux compères se greffe Jack Durieux à qui est confiée la mise en couleurs du livre quasi mythique. Cet ajout pas n’est pas banal. Parfois les teintes accentuent un contraste, mettent en relief des éléments de décor ou donnent plus de consistance aux ombre, à moins qu’elles ne les créent. À d’autres moments, elles masquent le trait, particulièrement les petites hachures caractéristiques du style de l’illustrateur. Certaines cases très encrées perdent d’ailleurs un brin de lisibilité. Mais, pour tout dire, la comparaison demeure vaine. L’édition colorisée constitue une entreprise différente et elle commande d’être reçue comme telle.

D’emblée, il apparaît que le coloriste a privilégié une palette sobre, dominée par les bleus et les roses pastel. Le choix étonne un peu ; après tout, la gamme chromatique des autres tomes de la série semble plus riche. Toutefois, si on y pense, Urbicande est triste. Les gens se montrent soumis, le béton omniprésent et la végétation rare. De ce point de vue, le parti-pris, à défaut d’être vraiment séduisant, s’avère cohérent avec l’esprit du lieu. Le travail, dans l'ensemble soigné et respectueux de l’œuvre originale, a su plaire aux deux bédéistes.

Un bémol, cette énième variante illustre une manie énervante : le duo multiplie les versions d’un même album. À peine cinq ans après la première sortie, ils complètent avec une postface, La légende du réseau. En 2009, rebelote, ils enrichissent l’intrigue de trois pages réalisées à la suite d’un voyage à Brasilia. Cette fois la proposition est colorisée... mais elle n’inclut pas les bonifications.

Indispensable, cette nouvelle mouture ? Non, mais elle fournit un heureux prétexte pour redécouvrir un fleuron du 9e Art.

Moyenne des chroniqueurs
8.0