Comédie française Comédie française, voyages dans…

S tudios de la plaine Saint-Denis, le 3 mai 2017. Mathieu Sapin est autorisé à suivre le débat du second tour, installé dans les coulisses du camp du parti En Marche. Après la joute violente, Emmanuel Macron retrouve sa ribambelle de proches afin de débriefer sa prestation. Les députés, les ex-opposants et autres ralliés retardataires courtisent leur champion qui semble très à son aise. Le caricaturiste s’amuse du phénomène de cour lorsque le futur président de la République coupe les commentaires élogieux pour questionner l’auteur sur Gérard Depardieu. Surpris de cette attention et gêné du regard de l’assistance, l’homme peine à trouver ses mots. Une pirouette du maire de Lyon lui permet de sauver la face. Ce sentiment de fascination et de répulsion qu’il éprouve, à cet instant, est décuplé par sa passion soudaine pour l’œuvre de Jean Racine. Ses lectures sur la vie de l’académicien renforcent vivement son interrogation du pouvoir.

Le style graphique de Mathieu Sapin est propice à la profusion de parutions diverses. D’un trait tremblotant, il retranscrit rapidement aussi bien un décor qu’une émotion. En quelques courbes, il pose une case. Les vignettes s’enchaînent, tenant davantage de l’écriture que de l’esquisse. De cette manière, l’accent est mis sur le plaisir de lecture, au détriment du charme de la ligne. En somme, c’est un dessin de presse. Et, à ce titre, cela lui a permis de multiplier les publications dans des genres différents. Ainsi, au gré des décennies, de grandes périodes se distinguent dans sa contribution au neuvième art. Après une phase de production soutenue par des éditeurs indépendants (Supermurgeman, Salade de fluits, Le Journal de la jungle), il a abondamment contribué aux collections jeunesse, notamment en participant aux succès de Sardine de l’espace ou en scénarisant la série Akissi pour l’illustratrice Marguerite Abouet (notez que le tome 10, Enfermés dedans paraît dans les jours à venir). Depuis plusieurs années déjà, il est le dépositaire d’une veine semi-journalistique à tendance autobiographique. Une démarche entamée à l’occasion du long-métrage de Joan Sfar, Gainsbourg (Vie héroïque) et qui a pris la forme de trois témoignages (Feuille de chou : Journal d’un tournage, Journal d’un après-tournage ; Journal d’un journal). Affinant ce type de composition, le bédéiste revêt le costume de reporter en vue de réaliser un diptyque autour de l’accession de François Hollande à la plus haute fonction de l’État (Campagne présidentielle ; Le Château). Un travail dense, parfois lourd, qui révèle tout le faste de l’Élysée, le poids du protocole et la dépendance respective entre les responsables politiques et les éditorialistes.

L’interlude drôle et touchant, Gérard, cinq années dans les pattes de Depardieu, n’a pas suffi au chroniqueur pour décrocher de son addiction aux affaires publiques. Il replonge donc au milieu de l’arène avec Comédie française, Voyages dans l’antichambre du Pouvoir. Désormais, l’angle de narration repose sur l’utilisation des artistes comme vecteur de propagande. Sans se précipiter au cœur du sujet, le récit expose paisiblement la vie du dramaturge Jean Racine. Ce dernier a obtenu des gratifications de son monarque en raison de l'exigence de ses pièces de théâtres, puis il a tourné le dos aux tragédies classiques de façon à obtenir la charge d’historiographe royal. Une fois la problématique exposée, le dessinateur crée un parallèle entre sa relation avec les gouvernants et celle entretenue par le poète à l’endroit du Roi-Soleil. Il veille, bien entendu, à ne pas se placer sur un pied d’égalité à l’égard du père de Britannicus, tout en alimentant la comparaison d’anecdotes. À l’intérieur des cinq chapitres de l’album, le lecteur suit tantôt le génie littéraire au XVIIe siècle, tantôt les démêlés artistiques et relationnels de Mathieu Sapin. Ce va-et-vient incessant se fonde sur des didascalies qui alourdissent les nombreuses transitions, perdant d’autant la cohérence du livre. Certaines saynètes sont savoureuses, le propos est intéressant et les indiscrétions de nos dirigeants sont croustillantes. En revanche, le procédé est verbeux et faiblement aéré.

Au final, le réalisateur du très bon film Le Poulain aura réalisé deux livres de qualités enchâssés ensemble au sein du même écrin, mais dépourvu d’un véritable lien. Une réussite pour certains, une fausse bonne idée pour d’autres : faites-vous votre avis !

Moyenne des chroniqueurs
5.0