Bix (Chantler) Bix

L éon Bismark Beiderbecke, dit Bix (1903 – 1931) est un cornettiste et compositeur ayant connu son heure de gloire au moment où le jazz était encore en gestation. Venant d’un milieu ne favorisant pas la culture, il apprend en autodidacte le piano et la trompette. Jeune adulte, il se joint à des orchestres de bal au grand dam de son père. Influencé par Louis Amstrong et King Oliver, il arrive peu à peu à se faire connaître et devient un soliste recherché. Il finit par intégrer le renommé Orchestre de jazz symphonique de Paul Whiteman. Il meurt à vingt-huit ans de la tuberculose et des séquelles d’un alcoolisme chronique.

Nom quasiment oublié en dehors du cercle des amateurs du proto-jazz d’avant-guerre, Bix a néanmoins marqué son art. En plus d’avoir composé des standards très appréciés à son époque, il a aussi participé à l’enregistrement de nombreux disques. Certains exégètes vont jusqu’à suggérer que son jeu tout en nuance serait annonciateur du style cool des années cinquante. De plus, sa courte existence représente l’archétype de l’artiste maudit, mort jeune dans des circonstances tragiques. Même si, en réalité, il avait connu le succès et jouissait d’une certaine aisance financière. Au fil du temps, les témoins, dont sa propre famille pour des raisons de réputation, ont commencé à transformer les faits. À l’image de Robert Johnson, le bluesman qui avait vendu son âme au diable pour un riff, sa vie s’est petit à petit transformée en légende.

C’est exactement ce qu’a pu constater Scott Chandler en faisant des recherches. Les différentes biographies existantes sont contradictoires et peu d’archives ont survécu. En gros, tout et n’importe quoi a été raconté à propos de ce musicien. Alors, plutôt que de vainement tenter de trier le vrai du faux, l’auteur de Deux généraux a préféré imaginer une version possible et personnelle, se fiant beaucoup à son ressenti et, évidemment, à la musique de son héros. Le résultat est un superbe ouvrage muet où le découpage des cases donne le rythme.

En effet, même si le swing n’était pas encore de rigueur, le dessinateur a imaginé une mise en scène et en espace originale, percutante et parfaitement maîtrisée. La présentation à l’italienne s’ouvre sur des strips classiques, à raison d’un par page : cinq vignettes, lecture de gauche à droite, rien de très emballant en apparence. La situation change du tout au tout quand le jeune Léon découvre la musique. Les planches s’animent et les cases commencent à danser, voire se multiplier dès que le tempo s’accélère. À l’inverse, si le ton s’avère grave ou plus sombre, le temps s’allonge littéralement. Chandler duplique et réagence ses compositions et parvient à montrer la dilatation des heures et la répétition monotones des journées d’une manière plus que tangible. L’impact visuel est tout bonnement extraordinaire.

Portrait biographique généreux et élégant, Bix propose un récit sincère et particulièrement habité. Formellement, c’est également un tour de force exploitant pleinement les possibilités du Neuvième Art.

Moyenne des chroniqueurs
8.0