Croke Park - Dimanche sanglant à Dublin

L e vingt-quatre février 2007, l'équipe d'Irlande est opposée à celle d'Angleterre dans le cadre du tournoi des Six Nations. Lansdowne Road étant est travaux, la rencontre doit se tenir à Croke Park. Cette décision ne plaît pas à tout le monde. Tout d'abord, ce stade est normalement réservé aux sports traditionnels irlandais, et les puristes acceptent mal qu'un sport "étranger" y soit pratiqué. Mais ce sont surtout les souvenirs liés au dimanche vingt et un novembre 1920 (ni le premier, ni le dernier Bloody Sunday) qui remontent à la surface... Un traumatisme pour la population locale. Comment accepter que God Save the Queen résonne sur le lieu même d'un massacre perpétré parles soldats britanniques ?

Sylvain Gâche et Richard Guérineau réalisent une reconstitution très documentée des événements qui ont mené à cette tuerie absurde. Ils expliquent l'escalade implacable qui s'est déroulée en quelques heures, depuis une opération coup-de-poing commanditée par Michael Collins, leader du Sinn Féin, exécutant au petit matin une douzaine d'officiers anglais sur une cinquantaine de cibles, jusqu'aux représailles sanglantes lorsque l'armée fit feu dans l'enceinte de Croke Park, alors que la foule était venue nombreuse pour assister à un match de football gaëlique, abandonnant sur la pelouse quatorze victimes civiles et une soixantaine de blessés.

Il est difficile d'imaginer l'importance que revêtait le match de 2007 en termes de réconciliation. Les blessures restent vives et le lieu est devenu un symbole du martyr de la cause indépendantiste. Intelligemment, les auteurs ont introduit le personnage d'Antoine, un candide qui n'a d'autre rôle que de servir de catalyseur à la discussion. Il apporte la fluidité nécessaire pour alléger la dimension didactique du récit, qui brasse de nombreux faits historiques pas toujours connus en France.

Croke Park remplit parfaitement son contrat, proposant une évocation historique réussie. Le scénario permet de comprendre les enjeux et l'enchaînement qui a causé cette tragédie, sans noyer le lecteur sous les informations. Il manque sans doute un personnage qui attire plus d'empathie. L'ensemble possède un côté un peu trop "scolaire", les protagonistes jouant leur rôle dans nécessairement posséder d'épaisseur particulière. Le dessin précis et efficace de Richard Guérineau recrée agréablement le Dublin d'il y a un siècle. Ces planches sur le rugby semblent par contre un peu trop statiques. D'une certaine manière, elle parle pour elle-même : un bel ouvrage, tant du point de vue graphique que scénaristique, qui ne révolutionne pas le genre, et n'en a probablement pas l'intention.

Moyenne des chroniqueurs
6.5