L'Épopée de la franc-maçonnerie 1. L'ombre d'Hiram

D ix siècles avant notre ère, à Jérusalem, le roi David sent ses derniers jours approcher et prépare sa succession. Au grand dam d’Adonias, son fils aîné, il choisit Salomon, son cadet, aussi compétent mais beaucoup plus tempéré. Le vieux monarque, descendant de Moïse, n’aura pas le temps d’achever son projet et sa promesse : donner un temple à l’Arche d’Alliance, contenant les Tables de la Loi. « Les hommes ont besoin de savoir où Dieu repose pour mieux le prier » argumente-t-il. Arrivé sur le trône, Salomon décide l'exécution de son frère dépossédé du pouvoir et fait venir de Tyr, la cité voisine et amie, Hiram, architecte prodige, formé à l’école égyptienne. Celle-ci a séquencé la connaissance et l’organisation des chantiers : un degré, un mot de passe, un signe, un attouchement de reconnaissance. Mais bientôt la colère gronde : les ouvriers critiquent ce meneur venu d’un autre royaume, souhaitent un meilleur salaire et veulent accéder à des responsabilités plus importantes.

En 1250, Joachim Bernadone, maître tailleur de pierre, se fait embaucher pour l’édification de la cathédrale de Cologne. Il découvre le principe de la loge, petite cabane en bois située au pied de l’édifice, dédiée à un métier, permettant de travailler par mauvais temps et de s’entraider. Un inconnu lui demande, au nom d’une tradition ancienne et d’un projet d’envergure, de fixer par écrit tout le savoir de son art. Ne sachant pas écrire, il se fait aider d’une écrivaine publique. Deux assassinats l’obligeront à fuir vers Londres.

Glénat publie simultanément les deux premiers tomes de L’Épopée de la Franc-Maçonnerie, L’Ombre d’Hiram et Les Bâtisseurs, sous la direction de Didier Convard (Neige, Finkel, Le Triangle secret). Celui-ci scénarise le versant antique, tandis que Jean-Christophe Camus (Fraternités) s’occupe du pan médiéval. Les deux épisodes sont dessinés respectivement par Denis Falque (Le Triangle secret) et Olivier Pâques (Loïs). Comme l’indique le titre générique, il s’agit de raconter l’émergence et le développement de la Franc-Maçonnerie, structurée au 17è siècle, mais dont l’origine remonte au temps des constructeurs antiques. Afin d’éviter un ton professoral, les scenarii s’appuient sur des intrigues bien menées, et reposent à la fois sur des éléments historiques, la légende de la société secrète (désormais « discrète » comme l’affirme dans le dossier Jacques Rozen, Souverain Grand Commandeur du Suprême Conseil de France) et l’imagination des auteurs.

Mêlant personnages fictifs et figures ayant réellement existé, les deux récits trouvent leur équilibre entre tragédies personnelles, reconstitution d’époques révolues et pédagogie sous-jacente servant la démarche de mise en lumière. Malgré une tonalité mystique très prononcée dans L’Ombre d’Hiram et la prose hagiographique des Bâtisseurs, la lecture est plaisante et amène à l’immersion.

Graphiquement, les dessinateurs ne peuvent renier leur dette envers l’école de Jacques Martin. Les spectres d’Alix et de Jhen planent sur les planches des deux volumes. Aucune case de saurait être prise en défaut. Les atmosphères nocturnes du Moyen-Orient et les forêts de bois et de pierre des monuments qui sortent lentement de terre séduisent le regard. Ce sont des odes à l’airain liquide, aux échafaudages labyrinthiques, aux sculptures terrifiantes, aux clés de voûte, mais aussi à la grandeur des artistes et aux idées folles des dirigeants, sans oublier les ambitions individuelles, les coups bas et les crimes. Les dossiers illustrés complètent bien ces voyages passionnants ainsi que la démarche d’une organisation qui semble aspirer, aujourd’hui, à sortir de l’ombre et à laisser arriver jusqu’à elle quelques rais de lumière.

Moyenne des chroniqueurs
6.0