L'Étrange cas Barbora Š.

M ai 2007, Kuřim en République tchèque. Un papa branche une « nounou-cam » pour surveiller son bébé pendant qu’il prépare le repas. Un incident technique fait que son récepteur capte le signal d’une installation similaire située dans une maison du voisinage. À la place du poupon attendu, les images qui apparaissent sur le moniteur le font frissonner : une jeune fille enchaînée à l’intérieur d’une pièce sombre est visiblement en détresse. La police est immédiatement appelée. Une fois secourue, l’enfant est remise aux bons soins des services sociaux. Sordide fait divers de maltraitance, voire pire ? Oui et non. À partir de là, la situation prend un tournant et une ampleur insoupçonnable. La petite Anna, douze ans selon ses papiers d’identité, se révèle être une femme de trente-trois ans nommée Barbora Škrlov ! Et ce n’est que le début. Peu de temps après, celle-ci disparaît mystérieusement et ne refera surface que des mois plus tard, en Norvège, sous le patronyme d’Adam, un garçon de treize ans ! Commence alors une série de procès au long cours, dans lesquels de nombreuses personnes sont condamnées pour mauvais traitements, sans que le fond du dossier ne soit vraiment éclairci.

Dans l’avant-propos, Vojtěch Mašek et Marek Šindelka expliquent qu’après une enquête de six ans, ils ont finalement préféré la fiction afin raconter cette histoire aux ramifications s’étendant sur presque cent ans. Ce choix leur a permis de faire le tri entre spéculations fumeuses, soupçons forts, mais improuvables et respect pour certains protagonistes ayant déjà beaucoup souffert. Même ainsi épuré et réorganisé, le récit qu’ils proposent n’en est pas moins incroyable et impensable.

Divisé en deux parties, l’album raconte d’abord précisément le drame ainsi que les origines profondes des intentions que celui-ci implique. Il y est question, entre autres, d’une secte ayant pris naissance dans la République de Weimar et interdite par les Nazis, de scouts fanatisés et d’un gourou à la recherche d’un prophète. Puis, à la lumière de ces éléments, la découverte de Barbora Škrlov est à nouveau racontée et la narration se transforme en une série de sous-intrigues plus ou moins concordantes. Liant le tout, une journaliste « accro » à son sujet mène le bal jusqu’à ce qu’elle perde toute forme de sens critique et son fiancé au passage.

Si la lecture est prenante, sa densité et la tension permanente la rendent également pesante. Résultat, il devient quasiment impossible de faire la part du vrai et de l’imaginaire tant les multiples développements s'entremêlent toujours et encore. L’effet dramatique fonctionne admirablement bien, un peu trop, peut-être. À force, la masse d’informations est telle que ce thriller finit par ressembler à une encyclopédie anarchique à laquelle il manquerait un index pour s'y retrouver.

Pour suivre la cadence, Marek Pokorný a été obligé d’adapter son approche graphique aux différentes strates du scénario. D’un trait réaliste bien posé et d’un découpage classique, il passe sans avertissement à l’expérimentation façon Chris Ware afin de montrer l’inexplicable. Heureusement (ou pas), ces changements successifs de style ne sont pas gênants et, à l’occasion, peuvent servir de repères auxquels le lecteur pourra se raccrocher au besoin. Dans tous les cas, Pokorný fait preuve d’une audace impressionnante et d’une maîtrise admirable des codes de la bande dessinée contemporaine.

Ambitieux et sans répit, L’étrange cas de Barbora Š. vaut tous les romans à suspens du marché. Même si les auteurs perdent un peu leur fil ici et là, leur ouvrage possède toutes les qualités pour séduire les amateurs exigeants de complots dépassant l’entendement.

Moyenne des chroniqueurs
7.7