Le baron (Masbou) Le Baron

V éritable Cyrano de Bergerac allemand, Karl Friedrich Hieronymus, baron de Münchhausen fait partie du club très select des personnages réels cannibalisés par leur légende. Petit noble ayant fait une carrière militaire, il était également un conteur hors-pair qui aimait enjoliver ses souvenirs pour le plus grand plaisir de son auditoire. Ses « mémoires », rassemblées et éditées par l’écrivain Rudolf Erich Raspe, sont rapidement devenues un best-seller à travers l’Europe du XVIIIe siècle, le transformant par la même occasion en une personnalité loufoque à la limite de la folie. Deux cent cinquante ans après, le Baron est toujours là, ses péripéties continuent de ravir les lecteurs et une maladie psychiatrique grave porte même son nom. Tout ça pour quelques racontars partagés autour d’un bon verre ?

Il est des associations qui tombent immédiatement sous le sens. Jean-Luc Masbou illustrant Münchhausen fait partie ce celles-ci. En effet, qui pouvait mieux transfigurer ces aventures extraordinaires que le co-créateur de De Cape et de Crocs ? Une simple adaptation aurait certainement déjà été une excellente nouvelle, mais l’artiste a vu plus grand et bien lui en a pris. S’il reprend les épisodes attendus, il a élargi le propos et propose une série de mises en abyme impressionnante, ainsi qu’une réflexion sincère sur le rôle salvateur de l’imagination dans l’univers matérialiste qui nous entoure.

Privé d’auberge par son austère femme, Karl Friedrich vivote tristement sur ses terres. Orphelins de leur héros favori, les villageois font également grises mines. Servant d’étincelle, l’arrivée d’un colporteur proposant un recueil, jusqu’alors inconnu, des exploits du Baron rallumera la faconde du vieil homme. Dans le même temps, Masbou rejoue, en le réorganisant avec malice, le texte d’origine. Quel livre détient la vérité ? Ces histoires sont-elles possibles ou tout a-t-il été inventé ? Qui dit vrai ? Qui affabule ? Est-ce vraiment si important de le savoir ? Le narrateur, les protagonistes, ainsi que le lecteur et l’auteur, sont mis devant leurs responsabilités. Bien malin celui qui aura le dernier mot.

Ce tour de force scénaristique est « emballé » dans un écrin époustouflant. Tel un Jean Dytar qui change de style d’un album à l’autre, le dessinateur a varié son approche graphique pour chacun des nombreux sous-récits. Dessin au trait façon gravure, illustrations de contes populaires, théâtre d’ombre ou de marionnettes, etc., le résultat est tout bonnement merveilleux. L’ensemble est habillé par de formidables couleurs chaudes et enveloppantes. Pas de doute, beaucoup de passion et d’amour ont été utilisées dans la réalisation de ces pages.

Le matériel de départ était déjà immense, cette version BD arrive à le sublimer. Superbe visuellement, infiniment drôle et touchant, Le Baron est une réussite à tous les points de vue et se profile d’ores et déjà comme un incontournable.

Moyenne des chroniqueurs
8.0