Connexions Faux accords

I ls se nomment Javier, Faustine, Marc, Assia, Matthew et Judith ; ils ont la vingtaine et pleins de rêves dans la tête. Ils se croisent, font connaissance, s’aiment, se quittent et s’oublient. Puis les mois passent, certains projets se concrétisent, d’autres s’évanouissent. Pourquoi ? Comment ? Peurs, lâchetés, non-dits, incompréhensions, c’est de la faute à personne et à tout le monde. Des choix, des conséquences, la vie, simplement.

Auto-produit jusqu’à maintenant, Connexions prend une nouvelle ampleur alors que les éditions Tanibis ont décidé de publier sous leur bannière cet ambitieux récit choral. Si le fond du scénario s’avère des plus classiques, la forme détonne. En effet, pour raconter les déboires et les espérances de sa distribution, Pierre Jeanneau emprunte la voie de la déconstruction et de l’enchâssement narratif. La mécanique est à la fois simple et délicate : chaque chapitre raconte une tranche de vie d’un des personnages. La lecture avançant, les différents éléments, souvenirs ou anecdotes se superposent à l’histoire principale sous la forme d’hexagones sortant des cases. D’abord un peu déroutant, ce procédé purement technique fait preuve très rapidement d’une efficacité redoutable.

Afin de gérer cette complexité apparente, il fallait un découpage et une mise en scène à toute épreuve. Surtout, ils devaient rester suffisamment ouverts et plastiques pour garder lisible la « densification » continue de la trame. Entre théâtre et jeux vidéos, les vues aériennes isométriques qui servent de cadre à cette fable sociale remplissent parfaitement ce rôle. Pour rythmer la danse, les lumières s’allument et s’éteignent aux moments opportuns, divisant et définissant ainsi l’action. Sans en avoir l’air, elles conduisent l’œil dans l’espace et le temps tout au long des deux cents pages de l’ouvrage. Le résultat est impressionnant de force et de précision.

Georges Perec et Chris Ware viennent instantanément à l’esprit en découvrant cet album tellement surprenant. Plus fort encore, Jeanneau parvient à faire oublier ces immenses références grâce à une utilisation novatrice et toujours renouvelée des codes de la bande dessinée. Suite et fin dans un second volume à venir.

Moyenne des chroniqueurs
8.3