Tomahawk (Prugne) Tomahawk

I l est parfois des rancœurs tellement tenaces qu'elles forgent une haine dévastatrice. En 1758, dans l'Ohio, Jean Malavoy est enrôlé à Fort Carillon au sein de l'armée française qui occupe et défend un territoire préservé. Alors la guerre, oui, il va la faire. Mais pas celle qui se profile inexorablement contre l'envahisseur britannique. C'est d'un autre combat qu'il s'agit et qui motive par-dessus tout sa présence. Celui qui va l'opposer à un ours gigantesque.

Après, et dans l'ordre chronologique, Canoë Bay, Frenchman, Pawnee, Iroquois et Vanikoro, c'est au tour de Tomahawk d'être «lancé» à la face du monde. Histoire complète et indépendante des cinq précédents ouvrages, elle prolonge et parachève l'introspection nord-américaine qui précède la conquête de l'Ouest américain. Un contexte politique et géographique agité au sein de milieux naturels encore vierges constituent les critères habituels et privilégiés de Patrick Prugne, valorisant au mieux son immense talent de dessinateur.

Le récit purement historique fait désormais partie du passé. Parce qu'il se sentait bâillonné et tributaire de faits qui se devaient de rester strictement réels, le scénariste, quant à présent, apprécie la liberté de pouvoir les détourner légèrement en y incorporant le fruit de son imagination fertile. Dans ce nouvel opus, au XVIIIe siècle, le «nouveau monde» et ses terres sauvages sont convoités par les plus grandes puissances. Si les Français tentent de s'intégrer en respectant les autochtones, en revanche, le «rosbeef» conquiert, le plus souvent, par les armes. À l'aube de l'anéantissement des tribus indiennes, le zoom est opéré sur un jeune troufion québécois incorporé dans une garnison française pour contribuer à défendre les intérêts de son pays. Cependant, le véritable intérêt se situe dans l'animosité prononcée qu'il éprouve envers un grizzli, sa longue traque et son éventuelle mise à mort. Curiosité, tension et suspense règnent à travers les motivations qui poussent le héros dans sa quête toute personnelle, ainsi que dans la relation entre l'homme et l'animal qui est disséquée, au même titre que celle du colonisateur dans sa confrontation avec l'amérindien. La narration, instructive, suscite l'engouement et vient conclure une immersion à tous points de vue réussie.

De l'art, c'est ce que revendique, au sens propre du terme, la galerie Daniel Maghen, qui fait de la beauté d'une case de bande dessinée son leitmotiv et sa réputation. Découvrir ou redécouvrir la précision du coup de crayon associé à une aquarelle qui n'aura jamais aussi bien porté son nom, il n'est donc pas surprenant de comprendre pourquoi le travail de Patrick Prugne est unanimement salué, celui-ci faisant l'objet d'expositions régulières voire permanentes. Dans l'ouvrage, le vert, le bleu et leurs variantes dominent outrageusement des planches délicatement crayonnées dans lesquelles se côtoient douceurs et violences au gré des éléments. La prouesse était de parvenir à magnifier les séquences dites d'action ou de cruauté à l'identique des paysages et des décors composés d'une faune et d'une flore riches et variées. Convenons que l'objectif est largement atteint !

Non seulement Tomahawk est à la hauteur des attentes et du standing de son auteur mais, le plus important, il procure la dose de plaisir et d'émotion que le public est en droit d'attendre d'un moment de lecture.

Moyenne des chroniqueurs
6.5