Résumé: De la description acide de ses colocataires, ses anciens profs ou sa petite amie, jusqu'au portrait de son envahissant voisin Danny, Chester Brown raconte tout sur son quotidien. Dans Le Petit Homme, il fait preuve d'une imagination débridée dans l'autofiction enfantine. Avec Helder, le making of, il nous plonge au coeur de son processus de création. Dans Ma mère était schizophrène, il compose un brillant essai qui balaye nombre d'idées reçues à propos de la dépression.
J
amais deux sans trois. Quand il s’agit de rééditer avec talent les travaux de Seth et de Joe Matt, il est difficile de résister à la tentation d’en faire de même avec le troisième larron de la bande, surtout quand il s’avère aussi doué que ses illustres compères. La parution du Petit homme – Histoires courtes 1980-95 au sein de la remarquable collection Outsider est ainsi l’occasion rêvée de découvrir ou de redécouvrir Chester Brown (Louis Riel...), l’autre grande figure de la scène indépendante canadienne.
Brown s’est d’abord fait connaître avec sa série de mini-comics Yummy Fur avant de rencontrer le succès avec le personnage satirique d’Ed le Clown. Mais c’est en signant le Play-Boy puis sa grande œuvre, Je ne t’ai jamais aimé, qu’il devait s’imposer comme l’un des maîtres de l’autobiographie fictionnelle. Sa capacité à rendre passionnantes les péripéties les plus ordinaires, à prendre de la distance avec son sujet et ses personnages tout en conservant une certaine proximité, est l'une de ses grandes forces. Son écriture tout en retenue se montre étrangement impudique, poétique et familière. Le dessin est aussi dépouillé que le style est précis.
Le recueil, que composent quelques vingt-sept histoires, forme un récit relevant tant de l’intime que du surréaliste. Rarement l’expression du quotidien ne s'est faite aussi étrange et fascinante. La présentation chronologique ajoute à l’intérêt de l’ouvrage et témoigne de l’évidente progression de l’auteur. Les fantasmagories super-héroïques, l’évocation des premiers émois, de la solitude et de l’ennui, laissent place à un sens clinique de l’observation. Beaucoup d’honnêteté, de sobriété, mais aussi d'humour dans cette mise en scène du moi. Peu de cases ou de dialogues, une narration à l’économie sans sentimentalisme et pourtant chargée d’une grande puissance émotionnelle. Jamais l'austérité n'avait paru si réjouissante : du grand art !