L
es forces de l’ordre n’ont pas la vie facile à Gotham City. Des relations de plus en plus tendues avec le Dark Knight poussent même le successeur du commissaire James Gordon à enlever le Bat-signal, stoppant ainsi net toute collaboration officielle entre la police et l’homme chauve-souris. Entre les meurtres et les affaires de corruption, le moral des agents n’est pas non plus au beau fixe. La carrière de Crispus Allen est menacée par la disparition d’une preuve importante pouvant le disculper d’éventuelles fautes commises lors d’une intervention musclée. Renée Montoya fait tout pour l’aider, tout en essayant de gérer une vie privée de plus en plus tourmentée. Afin de sauver un collègue victime d’une étrange mutation, les deux détectives se rendent à la prison de Keystone City pour interroger le mystérieux Docteur Alchimie. En ville, le corps d’un jeune homme habillé comme Robin est retrouvé dans une ruelle. Le G.C.P.D. (Gotham City Police Department), les journalistes et Batman sautent sur l’affaire …. Le lecteur aussi !
Le solide ancrage de cette saga dans la ville de Batman, ne l’aura pas empêchée de voyager au sein de différentes collections. Après un passage chez Semic Books et deux autres tomes au sein de la collection DC Heroes de Panini Comics, l’éditeur propose maintenant la fin de cette série en format Big Book. Une politique de changement qui ne manquera probablement pas de ravir le nouveau président des Etats Unis, mais qui a surtout tendance à perdre et frustrer les lecteurs. Intitulé Extinction, cet album imposant offre cependant non moins de quinze épisodes US (Gotham Central #23-25, #28-31 et #33-40).
D’entrée, cet ouvrage, qui débute et se termine par l’affaire de corruption impliquant Jim Corrigan, plonge le lecteur dans une ambiance de séries policières télévisées telles que NYPD Blue ou The Shield. L’histoire a beau se dérouler dans le fief de Batman et de ses ennemis les plus célèbres, les auteurs poussent délibérément le bat-justicier et ses adversaires en arrière-plan, afin de se concentrer sur le quotidien de la Brigade Criminelle. En gardant un univers de super-héros en toile de fond et en sortant les vrais policiers de l’ombre de Batman, ils parviennent à installer une relation complexe et très intéressante entre les citoyens ‘normaux’ de Gotham City et ses individus mondialement connus. Ce cadre original permet ainsi de croiser des héros tels que Batman, Robin ou les Teen Titans, tout en livrant un travail remarquable sur le développement psychologique de gens ordinaires. Des sentiments de Stacy suite au démantèlement du bat-signal, aux déboires familiaux et professionnels d’une Rée Montoya de plus en plus violente, la série n’hésite pas à empiéter sur la vie privée des détectives et à aborder des sujets sensibles comme l'homosexualité. Au fil des pages, les auteurs emmènent lentement leurs personnages au bord du gouffre, pour conclure cette aventure de manière aussi brillante que sombre.
Les rapports humains, les relations ambigües entre les vrais flics et la chauve-souris, l’action et le suspense sont ainsi savamment dosés au sein d’un récit policier de grande qualité, malgré une construction fort classique. Usant de dialogues très "vrais", les auteurs livrent un récit d’un grand réalisme, rythmé par les tensions et les problèmes personnels des membres de la Crime. Le fait d’entrecouper l’histoire d’extraits de rapports de police, accroît encore le sentiment d’authenticité, tout en résumant parfaitement les éléments clés de l’histoire. Si Brubaker et Rucka lient également certains passages aux événements d'Infinite Crisis, les cinéphiles apprécieront certainement l’interrogatoire du Docteur Alchimie, directement inspiré de la cultissime rencontre entre l’agent Clarice Starling (Jodie Foster) et Hannibal Lecter (Anthony Hopkins) dans Le Silence des agneaux.
Au niveau graphisme, Michael Lark et ses suppléants (Jason Alexander, Stefano Gaudiano, Steve Lieber et Kano) contribuent à installer l’ambiance réaliste requise par ce récit très humain à mille lieux des histoires de super-héros classiques, tout en faisant ressortir le décor sombre et pesant de cette ville où sévissent les meilleurs clients de l’asile d’Arkham. Malgré le carrousel de dessinateurs, le style graphique de l’ensemble reste très homogène. Le départ des deux autres créateurs de Gotham Central (Michael Lark et Ed Brubaker), est néanmoins un facteur qui a probablement incité Greg Rucka à mettre un terme à cette excellente saga.
Si les changements d’éditeur, de format et de qualité de support sont discutables, le contenu devrait cependant mettre tout le monde d’accord : Gotham Central est ce qui se fait de mieux chez DC et est un véritable must pour les amateurs de drames policiers se déroulant dans un univers de super-héros !