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l y a dans l'existence des personnes faites pour se lier d'amitié. Pour Eric et Christophe, c'était loin d'être une évidence, ce serait même plutôt le contraire. Leur premier contact ne fut d'ailleurs pas des plus engageants. Pourtant, petit à petit, au fil du temps et des rencontres et des échanges, un lien particulier se tisse entre ces deux personnalités que tout semble opposer. Commence alors une de ces relations qui durent toute une vie.
Les Ensembles Contraires est le pari de deux hommes, Kris (Toussaint 66, Un Homme est mort, Le Monde de Lucie) et Eric T., de raconter la période de leur vie qui a vu naître et grandir leur amitié. Ici, pas de fiction, mais simplement l'histoire bien réelle de deux adolescents qui vont être confrontés violemment à la réalité de la vie d'adulte. Cet album relate les différents évènements qu'ils ont vécus, ensemble ou séparément, des premières sorties aux premières vacances, des premiers flirts aux premiers chagrins, des premiers boulots aux premières galères. C'est également la découverte de deux univers opposés, un choc brutal, bousculant chacun dans ses certitudes. Le poids de la famille est pesant, particulièrement pour Eric, qui malgré les apparences, tente de donner le change en montrant qu'il est au-dessus de tout cela. Mais l'accumulation des épreuves finit par trop peser sur ses épaules, une charge bien trop lourde à porter pour un seul homme.
Les auteurs ont choisi de découper leur scénario par séquences, de faire se succéder des tranches de vie. Le ressort dramatique repose sur cette alternance entre les anecdotes estivales et amoureuses, pour lesquelles la légèreté de ton est de mise, et les périodes très dures, empreintes d'une violence ordinaire. Ce procédé, tout en entretenant le mystère sur les évènements à venir, installe une tension palpable tout au long du récit, allant jusqu'à mettre le lecteur, témoin de ce parcours douloureux, mal à l'aise.
Les Ensembles Contraires est un album à ranger aux côtés de Journal de Fabrice Neaud ou Pourquoi j'ai tué Pierre d'Olivier K et Alfred. Ces récits ont en commun une grande force et surtout le courage de mettre en avant, en rendant public, des passages douloureux de leurs vies. La grande qualité de ce récit est la sincérité avec laquelle Kris et Eric T. ont choisi de raconter leur aventure, se montrant le plus juste possible, avec humour, souvent avec tendresse, sans artifices et sans chercher à enjoliver le propos ni à dramatiser plus que nécessaire les situations. C'est aussi l'occasion d'inviter chacun à se pencher sur son propre parcours, et en particulier à se rappeler le point de départ de certaines amitiés, durables, indéfectibles même. Car au-delà des épreuves traversées, c'est une belle amitié qui s'offre là, sans faux-semblants, sans angélisme.
Le style « gros nez » qu'on attribuait volontiers à Nicoby ne le prédisposait pas forcément à illustrer une histoire dramatique, lui qui est plus habitué à un ton nettement plus léger (Chronique Layette, Excursion Coréenne). Pourtant, en affinant son trait, il parvient à transcrire les émotions fortes de cet album. L'ensemble est particulièrement réussi. L'attention se focalise sur les personnages, leurs attitudes, les décors étant présents uniquement lorsque cela s'impose. La mise en couleurs joue ici un rôle essentiel, car Nicoby alterne les nuances chaudes, réservées aux anecdotes les plus joyeuses, et celles froides et sombres des périodes dures dans lesquelles Eric se retrouve seul à affronter cette succession d'épreuves.
Les Ensembles Contraires est une vraie claque comme il en existe peu en bande dessinée. De celles qui laissent sans voix une fois la dernière page de l'album tournée. La lecture de ces deux cent pages s'est écoulée sans pause, sans respiration, entièrement concentré à suivre la maturation de cette amitié. Un témoignage bouleversant. Kris montre une nouvelle fois qu'il est un auteur avec lequel il faut compter, un auteur entier, engagé, qui met sa vie et ses convictions au service de ses récits.
Les avis
Erik67
Le 26/05/2021 à 08:06:41
La collection Futuropolis est celle que je préfère actuellement. Chacune de la plupart des œuvres sont réalisées avec brio. "Les ensembles contraires" m'a époustouflé par une indéniable qualité narrative ainsi que graphique qui s'étalent sur les deux tomes.
Pourtant, on traite juste le quotidien de deux jeunes hommes qui vont découvrir ensemble l'amitié alors que beaucoup de choses semblaient les séparer à commencer par le milieu social. Bref, il n'y a rien de réellement extraordinaire. C'est la première fois que je vois une œuvre qui se consacre à la construction d'une amitié sincère entre les confidences, les questionnements amoureux ou les fous rires. C'est un thème qui me touche beaucoup personnellement pour avoir perdu à tout jamais mon meilleur ami il y a longtemps. C'est une ode à l'amitié pure et sincère comme il en existe si peu …
Dans les ensembles contraires, l'un des protagonistes va mal tourner. Il y a de petites projections dans le futur où on le voit seul dans un foyer misérable. On se demande ce qui a bien pu se passer pour en arriver là. Il y a pas mal de moments particulièrement touchants. Le passage à la vie adulte avec ses contraintes et ses malheurs comme la maladie est particulièrement dur. Cela avait pourtant commencé par l'insouciance de la jeunesse. On se retrouve dans celle-ci pour avoir vécu les mêmes années 89-90.
Oui, j'aime ces récits autobiographiques quand ils ont la force de communiquer toute l'âme d'une BD. C'est une incomparable réussite. Le meilleur de Kris assurément ! Que de chemin parcouru depuis la lecture un peu morne d'Un homme est mort. Il m'a agréablement surpris ces derniers temps (voir également l'excellent Coupures irlandaises). Le dessin est également bien réalisé car il permet de retranscrire à merveille toutes les émotions des personnages.
Kris a ouvert son intimité et son cœur, c'est une forme de générosité envers ses lecteurs. Ceci est la clé d'une réussite méritée. J'espère que cette série figurera parmi les immanquables où elle aura toute sa place.
Lelf
Le 21/08/2008 à 22:46:33
Comment naît, grandit et évolue une amitié ?
Kris et Eric T. nous raconte ici leur propre histoire avec une humanité que Kris a l'habitude de manier avec une grande habileté.
Les dessins amènent parfois à mal distinguer les personnages mais les couleurs permettent de pallier à ces doutes et la lecture est favorisée par un style simple sans être simpliste.
"Les Ensembles Contraires" fait partie de ces BD qu'on n'oublie pas une fois fermées mais qui nous suivent pendant longtemps. Car même si c'est LEUR vie qui est racontée là, il y a un peu de nous aussi. Nous sommes tous quelque part un Kris avec un meilleur pote Eric T.
Vivement la conclusion de ce diptyque.
Hugui
Le 14/07/2008 à 13:44:38
Il faut prendre le temps pour rentrer dans l'ambiance de ce récit car l'abord des dessins de Nicoby n'est pas évident au départ, c'est pas franchement mon style préféré, et les premiers chapitres un peu anodins demandent de s'accrocher, mais l'émotion gagne peu à peu jusqu'au coup de poing final qui fait que l'on attend la suite avec fébrilité.
On retrouve avec plaisir le talent de conteur de Kris et son humanité. A recommander donc mais en faisant attention d'en entamer la lecture à une période où on est disponible et pas trop stressé pour se laisser saisir par l'émotion.