U
n homme marche dans le Grand Nord canadien, vers une mine où d’autres sont déjà, à chercher l’or qui pourrait faire leur fortune et changer leur vie. Sous ce ciel sans soleil, il est accompagné de son chien-loup. Il fait probablement soixante degrés en dessous de zéro. Il connait la région. Il sait faire un feu. Parviendra-t-il à atteindre sa destination ?
Pour parler de Construire un feu, il doit y avoir au moins autant d'angle que de façons. Et la diversité de ce qu'on peut trouver dans les interventions sur la toile peut parfaitement s'illustrer à cette occasion.
La première un peu béate à force d'enthousiasme, ce qui ne remet pas en cause sa sincérité, et qui doit donner à peu près ça :
« En Amérique du Nord, quand il fait -60° C (- 76° F comme ils disent là-bas), je peux vous assurer qu'il fait vraiment pas chaud. C'est ce qu'un chercheur d'or accompagné de son chien apprendra à ses dépens.
J'avais déjà eu l'occasion de voir que Chabouté dessinait bien les sorcières (Sorcières chez Le téméraire), la lune (Pleine lune chez VO) et même le purgatoire (Le purgatoire chez VO aussi) mais je dois dire que j'ai été surpris qu'il dessine aussi bien les trappeurs et les chiens (les sous-bois on savait y en a toujours ou presque avec lui). Franchement, on s'y croirait et on se surprendrait presque à se souffler dans les doigts avant de tourner une page. Sacrée histoire quand même. A la fin, on est presque triste (pour le chien au moins) mais c'est tellement bien écrit. Il faut dire que quand on reçoit l'aide de Jack London pour le scénario, ça ne peut pas donner une mauvaise histoire.
Je ne saurais trop vous conseiller de lire - après l'avoir acheté - Construire un feu. Pour ma part, j'attends la suite avec impatience. (!) »
Ne souriez pas (enfin chacun fait ce qu’il veut), vous pourriez la croiser lors d’une de vos balades sur le net.
Et puis il y en a une autre, pas meilleure d’ailleurs. Celle qui a du mal à trouver ses mots.
Par crainte de tomber dans la paraphrase de ce court texte sur lequel est construit l’album, qui a été, avec bonheur, pour l’occasion transformé en voix off.
Pour ne pas trop en dire, pour ne rien dévoiler. Réflexe un peu stupide au fond puisque l’issue, dès les premières pages, ne fait guère de doute. Ce qui confirme le talent de Christophe Chabouté pour conter des histoires où l’économie des mots est de rigueur, pour imposer un rythme de lecture, pour créer une ambiance.
Embarras aussi pour ne ressortir tous les clichés d’usage sur Mère Nature, la faiblesse de l’être humain, la lucidité et l’instinct de l’animal.
Difficulté insoluble pour rendre compte de la force, de la beauté de ce dessin, de ses couleurs pour livrer cet univers noyé dans la blancheur où seul le noir et le brun semblent avoir droit de cité.
Gauche pudeur enfin au moment de révéler tout le plaisir lié aux retrouvailles avec un auteur, Jack London, synonyme de souvenirs d’enfance, d’évasion. Avec James Oliver Curwood et quelques autres, il a bercé les rêves de nombreux gamins s'imaginant eux aussi qu’ils affronteraient un jour le Grand Nord, une fois devenus des hommes ou, plus immédiatement, au cours d’une prochaine récréation.
Comme le précédent, cet autre avis conclut que Construire un feu est un album admirable.
Et sur bdgest, comme on n'est pas chien(-loup), on vous en offre même une troisième :
Par J. Briot
Quelle surprise que cet auteur, dont on connaît la maîtrise voire la prédilection pour le noir, se lance dans l’adaptation d’une œuvre dominée par une telle lumière ! Dans ce Klondike aux températures extrêmes, neige, glace et ciel polaire font jouer des blancs ou gris aussi aveuglants que mordants. Tout le spectre des couleurs en est affecté, et même les flammes sont blêmes, décalées vers le blanc. Cette volte-face chromatique de Chabouté n’est qu’une illusion : ce récit est l’un de ses plus sombres.
Pourtant il y a comme un acte manqué dans Construire un feu. Ce n’est pas que le dessinateur ait ménagé sa peine. Graphiquement, répétons-le, c’est magnifique. Mais après l’épatant Henri Désiré Landru, ce nouveau livre semble tout de même, eh bien, manquer d'audace. Comme si, sur ce coup là, Chabouté n’était pas allé au bout de sa démarche artistique.
Tout au long de l'histoire, on sent la tentation de l’auteur de faire une adaptation totalement muette de la nouvelle de Jack London. Pas moins de vingt planches ne contiennent aucun texte ; ce sont les plus fortes du livre. Construire un feu raconte une solitude. Hormis dans la préface, nécessaire pour poser le contexte, il fallait laisser s'imposer un silence assourdissant. L’utilisation de récitatifs distanciés qui s’adressent au personnage en le tutoyant (« Tu es à Henderson Creek, à seize kilomètres de la fourche. Tu peux y arriver avant midi ») ne fait qu’atténuer la tension dramatique. Sans le recours à cette voix-off, souvent redondante avec le contenu narratif des images, le récit aurait été à la fois plus subtil et plus intense. Au lecteur averti d’essayer d’en faire abstraction pour deviner, derrière les textes inutiles, le chef d’œuvre que ce livre aurait pu être.
Les avis
Wonderphil
Le 27/02/2021 à 21:17:14
C'est ma première lecture de Chabouté, et quelle lecture ! Ne connaissant pas la nouvelle de London ("To Build a Fire"), je n'avais que le titre et la couverture pour me préparer au probable récit de survie en milieu hostile. En effet, le héros va devoir improviser pour sauver sa peau dans les forêts enneigées du Klondike où, comme beaucoup d'autres aventuriers, il espère gagner sa part des gisements aurifères récemment découverts. Mais il aurait dû écouter l'old-timer qui l'avait prévenu : ne jamais s'aventurer seul, même avec un chien, quand il fait -50.
Les paysages enneigés du Yukon sont admirablement rendus, exploit notoirement difficile à accomplir. L'empathie avec le personnage est immédiate, grâce à une narration en voix off qui prend la liberté (par rapport au texte original) d'adopter une deuxième personne du singulier qui brouille volontairement la communication : on ne sait plus si le narrateur, omniscient, s'adresse au personnage principal ou au lecteur. Grâce à cette narration lente et immersive, le lecteur a aussi froid que le héros, et a autant envie de connaitre la suite que lui.
Impossible à fermer avant la fin, cette tragédie silencieuse transcende la relation entre l'homme et la nature, puis l'homme et l'animal, d'où il ressort que malgré son avantage cérébral, l'homme n'a l'ascendant ni sur l'un, ni sur l'autre.
Erik67
Le 04/12/2020 à 16:21:48
Construire un feu est une adaptation du célèbre romancier Jack London à qui la littérature américaine doit notamment Croc Blanc et L’appel de la forêt.
Le scénario est presque d’une simplicité déconcertante : un homme traverse avec son chien la région très hostile du Yukon en quête d’or et de gloire. Chabouté parvient très vite en quelques images à nous imposer ce grand désert blanc. Le froid est le principal ennemi de l’homme dans cette région reculée. A mesure que l’historie avance, on a véritablement froid pour cet homme qui commence à geler. J’ai eu des frissons pendant toute ma lecture. C’est du grand art !
Le gros reproche de ce récit est qu’il n’est pas assez étoffé. C’est vrai que chaque geste est analysé. Il faut aimer ce type d’histoire. Cependant, force est de reconnaître qu’elle est très bien retranscrite par l’auteur avec cette superbe voix off commentant le récit d’un homme qui ne parle pas et qui est fixé sur ses pensées pour sa survie.
Une lecture forcément glaciale à -60 degrés Celsius !
thorsteinn
Le 14/01/2018 à 12:42:30
Adapter la nouvelle de Jack London avec un seul personnage dans un décor blanc était loin d'être évident. Honnêtement j'ai hésité à l'acheter. Mais j'ai bien fait, car Chabouté a relevé le challenge haut la main.
al hakoul
Le 20/10/2009 à 22:47:09
...mouais.... pardon, c'est un peu court comme critique,
.........mouais.
Ah ça ! les dessins sont beaux, on ne peut rien reprocher de ce côté là.
Alors, alors ... oserais-je m'en prendre à Jack London...? Me faire de nombreux ennemis amoureux de la littérature à base de canidés...?
C'est plat. Sans être creux, attention je n'ai pas dis ça. C'est très poétique ; tout ce blanc, cette épuration du verbe, le lien avec cette saloperie de clébard etc
...mais bon, je dois préféré le noir, le sale, le sordide.
au frigo la cupidité !
L'apologie de cet album ayant déjà été faite, j'en resterais là.
guillaume3
Le 10/06/2009 à 04:45:52
Avec Christophe Chabouté le terme "bande dessinée" prend vraiment tout son sens.
Son dessin (souvent en N&B ou alors avec très peu de couleur) est tellement expressif, qu'il n'y a pas besoin de texte pour le souligner, pour donner à l'image, à la scène et, en fin de compte, à l'histoire complète, des détails supplémentaires.
Tout se comprend d'un regard, au premier coup d'oeil.
Et, pour cette récente mise en forme de la nouvelle de Jack London, il n'en fallait pas plus.
PARFAIT.
jekyll
Le 10/02/2009 à 13:57:52
D'abord on ne peut que s'extasier une fois de plus devant les dessins de Chabouté... C'est la force mais aussi trop souvent la limite de l'auteur d'ailleurs, qui cède parfois à des facilités de scénario (dans Purgatoire notamment).
Ici, on regrette presque la présence d'une voix off (pourtant sobre et parfois prenante), et on aurait souhaité davantage de dépouillement... Mais aussi plus d'événements.
Alors la descente dans cet enfer blanc est soit bien amenée, elle prend son temps, mais il faut reconnaître qu'elle se montre surtout captivante dans le dernier tiers, quand l'arrogance du personnage s'ébranle.
Un beau message, de très belles séquences (la fin surtout, donc), mais un tout petit peu décevant par rapport aux promesses que cette adaptation suggère dans son concept.
Lelf
Le 16/09/2008 à 17:18:21
Très belle adaptation de la nouvelle de Jack London par Chabouté.
L'homme et son chien errent dans la neige et le froid des montagnes. Leur progression est suivie par un narrateur extérieur qui ne perturbe pas la solitude, le silence et l'immensité.
Le dessin et les couleurs douces utilisées ici forment un décor époustouflant, aussi beau qu'il est cruel.
Cette BD a fait d'une nouvelle déjà bonne un morceau de poésie humaine. A lire autant qu'à regarder, cette oeuvre est une lecture indispensable.
zaaor
Le 20/04/2008 à 21:24:57
Voici un environnement hostile où le combat engagé entre l'homme et la nature
prouve qu'il n'y a pas qu'à savoir où l'on va pour être en mesure d'y arriver sans
embûche.
Tout devient comme huis clos glacial où personne n'aurait envie d'aller mettre le
bout de son nez.
L'homme est seul avec son chien loup, le froid et quelques allumettes. Peut-on
survivre dans ces conditions à une température Yukonesque de -60 degrés?
C'est la question intéressante posée par Jack London et interprétée
intelligemment par Chabouté.
amadigi
Le 24/01/2008 à 23:22:42
Une histoire simple, basée sur une nouvelle de Jack London : un homme seul avec son chien tente de survivre dans le grand froid, et doit rejoindre à pied ses camarades à une journée de marche.
Histoire sans paroles, si ce n'est les pensées du marcheur, ses certitudes, ses doutes.
On sent son courage et volonté de survivre dans ce milieu hostile : poignant !
soyo07
Le 12/10/2007 à 16:33:56
Une oeuvre magistrale dominée par une voix off qui nous donne des frissons de glace que la sensation intense de froid qui se dégage du dessin de Chabouté ne parvient certainement pas à apaiser. Comme quoi moi qui regrettais de laisser le clébard dehors quand il neige, je peux vous dire qu'à partir d'aujourd'hui ça va changer, le clebs DEHORS ! non mais !
yves16
Le 03/10/2007 à 22:42:43
Je rejoins les avis postés jusqu'à présent. Un très bon album. On est vraiment transporté dans le grand nord, on a froid avec le héros ou avec son chien, on accuse le coup lorsque la neige lui joue des tours, on perçoit le silence, on entend la voix off dans sa tête, on souffre puis on s'apaise avec elle... Joli tour de force ! J'ai beaucoup aimé, à lire absolument.
zanzibar
Le 01/10/2007 à 16:18:10
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Construire un feu
De Christophe Chabouté
Qui remercier pour un tel titre ? Jack London qui avait écrit l’histoire, ou Chabouté pour avoir su interpréter la nouvelle ? Outre le fait que l’auteur raconterait le récit d’un aventurier, ce qui m’a particulièrement accroché c’est cet emploi du mot hostile. Dès le départ l’auteur construit son titre autour de cet environnement hostile. Il ne s’agissait pas de nous dire qu’au Nord du Canada il fait froid, mais peut-etre que ce titre délaisserait les arguments supérieurs au placard ( exemple : réalisme,…) pour savourer le quotidien d’un de ces chercheurs d’or.
L’intelligence de Chabouté réside en plusieurs points précis. Tout d’abord dans cet emploi de l’hostilité environnementale à la fois insidieuse et quotidienne qui façonne bien plus que des coupes du monde de la satisfaction ; mais aussi ,en plus, en partant d’un global pour en venir à l’intime entre le lecteur et l’aventurier avec des termes comme : « mon ami » puis pour en revenir à cette globalité ( j’ai beaucoup apprécié cela ! ce yoyo malin).
Deuxièmement dans un cheminement plus général : celui du feu visible qui jalonne et ponctue le récit mais aussi le maintient d’une voire plusieurs flammes d’espérances psychiques permettant de garder l’esprit en alerte ( la morale du vieux gars de Sulfur Creek !), et toute sa lucidité. Le jeu de la chaleur de Chabouté est donc double : à la fois humaine et animale, mais aussi technique ( faire un feu, fumer.). Le feu fait partie de ces éléments qui captive la conscience tout en apaisant ! ! ! Une connaissance qui permet, ici, de s’en sortir parce qu’un monde hostile à la vie ne veut pas dire sans vie. Bref et en d’autres termes un savoir basé sur des gestes précis qui sauvent et entretiennent…la vie.
Autre point important c’est celui des voix. Une voix off importante, une voix intérieure très présente mais par contre pas un son audible. Un titre mutique quoiqu’en dise les mutiques qui se trompe de mutisme. Dernière petite subtilité de la part de Chabouté que je situais mal avant ce titre, c’est sur la ( grande !) question de l’inexorable, car on aurait pu craindre que le titre se termine sur une mort totale. Pas du tout ! Meme si l’aventurier obtient la sérénité dans une mort lente, le chien qui le suivait est encore vivant. Une petite malice qui suffit à ne pas terminer son titre sur une mort plombante trop facilement répandue.
C’est parce que Chabouté s’attarde sur l’environnement quasi monochrome, les gestes ( une très grande précision, je le rappelle !), les mouvements, et les pensées du jeune aventurier qu’il réussit son pari de nous transporter dans une région très isolée de la fin du 19 eme siècle. Bravo à Chabouté, un auteur terriblement doué, pour avoir su réadapter et remoduler la nouvelle de Jack London en BD. Une belle adaptation fine et malicieusement humaine totalement incompatible avec une monstruosité trop lisse ou supèrieure.
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je dis -M-
Le 18/09/2007 à 13:15:25
Un seul homme avec son chien, pas de bulles, que de la narration, le dépouillement de la nature enneigée donnant une intensité au dessin : tout cela colle parfaitement au monde du grand nord.
On a un eimpression d'espace, de silence (l'homme ne parle pas, il réfléchit) : cela m'a rappelé les très bons livres de Nicolas Vannier.
J'ai aussi beaucoup aimé l'inexorabilité du froid : on voit le personnage blanchir par le gel petit à petit, page après page, case après case.
Un petit bémol : j'aurais juste aimé une histoire un peu plus étoffée (pas en perso).
Mais bon, c'est tout de même un très bon album. Ca change de ce qu'on peut lire habituellement.