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ot de Miel vit paisiblement au bord de la Côte qu’on n’appelle pas encore d’Azur. Dans la baie, ses angelots, Esprit des anciens et Tigre, et sa tendre Nuit des câlins semblent à l’abri. Las des produits de la mer, ils ont envie de nouvelles saveurs. Une mission pour ce colosse et son ami Grand Nez. Une occasion de sortir du cocon familial avec un copain et de voir du pays…
Attention auteur en liberté ! Joann Sfar semble désormais bénéficier d’une totale carte blanche de la part de tous les éditeurs qui apparaissent à son encontre davantage comme des courtisans que comme des négriers. Dans La vallée des merveilles, il met en scène son alter ego en pagne et peau de bête avec une ceinture de crâne à la Marvin le rouge (Donjon). Pas finaud (plus conneau que Conan), un sens du chevaleresque réduit à sa plus simple expression, plutôt enclin à l’hédonisme qu'à l'héroïsme. Oh pas égoïste pour autant puisque c’est aussi le confort, concept minimaliste en ces temps de préhistoire, de sa famille et de ceux qui lui sont chers qui importe. Il se promène avec son pote Grand Nez pour une quête qui n’a rien d'une épopée, évoque les plaisirs de la vie, n’hésite pas à en venir aux mains dès que l’occasion se présente. Protecteur et dévoué à ses proches, primaire, un peu marrant, pas plus attachant que ça finalement. L’empathie, si elle doit jouer, va du côté de l’auteur dont on sait qu’il faut être prêt à le suivre n’importe où pour l’apprécier pleinement, surtout lorsqu’il s’amuse.
Ce qui surprend le plus ce n’est pas le dessin mis en chaleur par Brigitte Findakly. On connaît le trait plus ou moins lâche, le « besoin » de laisser se succéder gaufriers et larges cases ou encore un fractionnement en chapitres, introduits par de petits textes, qui semblent ponctuer la reprise de l’ouvrage bien plus que relever d’une construction rigoriste du récit. Ce n’est pas non plus les incohérences historico-géographique qui n’en sont pas (les Incas et les dauphins au bord de la Méditerranée ? Allez on y croit !) ou l’ingérence d’autres univers de l’auteur, à laquelle il faut être rompu, qui seront pointées du doigt. Idem pour les coups de griffe aux errances des mouvances religieuses qui virent aux pratiques sectaires ou l’amusant pied de nez aux "écolo-intégristes". Pas plus que la modernité et surtout la crudité propre au langage parlé employé ici, de plus en plus systématique, qui fera peut-être grincer des dents sans que cela relève de la bigoterie.
Ce qui étonne plutôt, c’est cette narration qui semble emprunter le ton des rédactions enfantines avec sa part de naïveté qui pourra autant charmer les uns qu’agacer les autres. Pourtant là encore, rien d’illogique lorsqu’à la lecture du précieux cahier de notes qui clôt l’album, des souvenirs de pré-adolescent mettent en lumière l’une des inspirations de l’album, au même titre que cette joie d’ouvrir une de ses créations à la complicité de ses enfants.
Mais dîtes-moi, tout ça finalement ça ressemble bigrement à un Carnet, cette drogue dont Sfar affirme avoir voulu se détacher. La petite famille mise en scène, les vieux complices à ses côtés, les décors mexicains de vacances (ok on laisse l’étui pénien de côté…), le tout à la sauce préhistorique pour tromper l’ennemi (il en reste ?) et créer une diversion. Oh, il y a toujours plus ou moins de vécu dans un livre…
Les quinze pages de notes ont bouleversé le jugement né de la lecture des 88 pages de l’album. D’un côté, un récit léger, rafraichissant par certains côtés, qui enfile les thèmes comme on enfile des perles sans trop se soucier de l’harmonie finale. De l’autre, ce faux making-of tellement plus excitant qu'une enfilade de croquis et qui continue de vous donner l'impression d'entrer dans la confidence. Le leitmotiv de La vallée des merveilles ? « Il faut accepter ce qui nous amuse le plus ». Personnellement, quinze pages ça me va…
Prochainement sous vos yeux : Klezmer t2 mi-mai (et en version anglaise pour le t1...), Le minuscule Mousquetaire dans On ne patine pas avec l'amour (suivi du t4 La bataille d'Angoulème), le dernier (?) DPM avec Blain, le DM avec Boulet, Le chat du rabbin dans Jérusalem d'Afrique, Grand Vampire dans Le bestiaire amoureux, Petit vampire et les enfants perdus, une bio de Django Reinhardt chez Dargaud, un DM grogroesque avec Larcenet ?...
Et sur le web le carnet tokyoite : http://www.toujoursverslouest.org/carnetajojo/carnet01/
Les avis
Erik67
Le 05/12/2020 à 20:02:24
Je ne sais pas si je dois le dire au risque de paraître ridicule mais c'est la première fois que je lis une Bd signée Joann Sfar. Pourquoi ? Le dessin de cette école simpliste m'a toujours fait fuir.
Comme je ne souhaite pas mourir idiot, je me suis donc attaqué à ce récit narrant les aventures de deux chasseurs préhistoriques. Peut-être que je ne devais pas commencer par ce titre là qui présente certains inconvénients...
Je dois dire que la lecture n'a pas été désagréable, bien au contraire. Il y a de bonnes trouvailles notamment au niveau des dialogues. J'ai bien aimé le passage sur les sacrifices humains au nom de la religion et celui sur les légumes sur le thème : faut-il refuser le progrès ?
Je me dis que je réessayerais bien une autre oeuvre.
pokespagne
Le 01/10/2015 à 16:49:58
"La Vallée des Merveilles" était en 2006 la promesse d'une nouvelle série du prolixe et généreux Joann Sfar : qui plus est, une série qui tenait tout autant du journal fantasmé de Sfar (la peinture de la vie familiale, tendre, chaleureuse ; les prises de positions "politiques" sur des thèmes fort d'actualité, comme le fanatisme religieux ou l'orthodoxie écologiste) que du récit d'aventures enfantines, franchissant généralement la limite du franc "n'importe quoi". En 2015, la promesse d'un volume annuel n'a pas été tenue, on peut donc craindre que "Chasseur Cueilleur" n'ait été qu'un one off, et on le lit avec une indéniable frustration : cet univers fascinant, cette Côte d'Azur "préhistorique" matinée de jungle caribéenne, où s'amusent les monstres les plus improbables, on aurait bien aimé l'explorer un peu plus en compagnie de nos deux chasseurs farfelus, jouisseurs plutôt que guerriers, promeneurs plutôt qu'aventuriers. Il nous faudra donc a priori nous satisfaire de cette courte partie de chasse, zébrée de moments surréalistes, parfois très beaux, régulièrement grotesques, occasionnellement un peu lamentables (c'est le risque de "l'écriture automatique" que pratique Sfar, il y a forcément du bon et du moins bon...), mais on sera de nouveau reconnaissant envers Sfar pour cette tentative de "bonheur en BD", follement originale, parfaitement généreuse (donc...). A noter aussi un chapitre de "making of" - un peu comme un supplément sur un DVD -, qui permet au lecteur de jeter un regard différent sur "Chasseur Cueilleur" !
philippe_grenier
Le 15/05/2006 à 00:28:39
Après avoir habitué ses lecteurs à des albums intéressants avec la publication de séries telles que Troll, Donjon Monsters, Donjon Parade et ainsi de suite, Joann Sfar a pu se créer un public de gens appréciateurs qui sont convaincus que l'artiste est un représentant par excellence de la nouvelle génération de créateurs et qu'en outre, il possède un génie créatif inné pour le monde de la bande dessinée. Ainsi, ce sont aujourd'hui les éditeurs qui font des pirouettes afin d'obtenir l'honneur de publier les derniers efforts de Sfar, permettant du même coup une très vaste marge de manoeuvre à celui-ci dans son expression créatrice.
Alors que ce statut exceptionnel permet à certains artistes de créer leurs meilleurs travaux et de révolutionner le monde artisanal dans lequel ils évoluent, pour d'autres, ce palier a été tout l'inverse d'une bénédiction, ils sont devenus les victimes de leur succès et ils ont sombré dans l'oubli du public exigeant.
Avec la publication de ce tome de 108 pages, l'artiste qui préconise l'écriture de scénarii solides au détriment de la beauté du dessin, ne se retrouve certes pas dans la première de ces deux catégories. En effet, l'histoire de cette famille de Néanderthals est loin d'être intéressante, au point qu'après avoir lu quelques pages seulement de ce tome, la pensée "Ça dure encore longtemps ce machin" vient à l'esprit du lecteur qui, à défaut d'être charmé par le dessin horriblement bâclé, délaissera avec dégoût cet album, sans en terminer la lecture, avec en plus l'impression de s'être fait abuser par l'auteur. Toutefois, il semble que Sfar réussit malgré tout à tirer son épingle du jeu avec La Vallée des Merveilles, alors qu'au 4e plat du livre, il est possible de lire les témoignages de lecture de personnages tels que Alain Chabat et Cédric Klapisch qui affirment ouvertement avoir savouré ce tome!
En bref, cet album a tendance à faire ressentir des impressions très différentes chez les lecteurs, allant de l'insulte à la jubilation. Ainsi, il serait tentant de lui accorder qu'un demi point sur cinq, exprimant que c'est un album à éviter, mais il est plus juste de le mettre au niveau de "pour amateurs seulement".