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incinnati, novembre 1910. Sa ville natale fait un triomphe à Winsor McCay, dessinateur désormais célèbre grâce à la série Little Nemo. Peu après le show joué en son honneur, McCay retourne au théâtre pour récupérer un chapeau oublié. Il se fait interpeller par Silas, l'activiste anarchiste que tout le monde croyait mort dans un incendie. Convaincu de son impunité, Silas fanfaronne auprès de son ancien collègue du Wonderland de Detroit : capable de se déplacer dans la quatrième dimension, il est en train de préparer un nouvel assassinat : « Tout en haut de la pyramide. Un salopard qui vit dans une chambre jaune ! ». De qui s'agit-il ? Et comment contrer un criminel capable d'échapper au monde tangible ?
La série McCay est une biographie inventée. On y trouve à la fois des anecdotes authentiques issues de la vie d'un des premiers grands maîtres de la bande dessinée, et une trame romanesque qui emprunte au polar et à une forme de science-fiction hard science. Il s'agit en effet de supposer réelle l'existence d'une quatrième dimension spatiale, telle qu'exposée par le mathématicien Charles Hinton dans ses recherches. Pour comprendre la quatrième dimension, il faut songer à la manière dont on passe d'un segment de droite à un carré, puis d'un carré à un cube. S'il était possible d'aller une étape plus loin, on obtiendrait une figure à 4 dimensions : ce que Hinton nommait "hypercube" ou "tesseract".
Se figurer un objet mathématique tellement contraire à notre expérience est presque impossible sans le concours d'ordinateurs... à moins de posséder un esprit qui cumule à la fois un sens inné de la perspective, et une imagination débordante. Winsor McCay, dont l'œuvre dessinée et les travaux en matière d'animation démontrent assez bien le génie dans ces deux domaines, aurait été un candidat idéal. D'où l'idée développée par Thierry Smolderen de faire se rencontrer Hinton, le théoricien, et McCay, le praticien, dans un même récit.
Pour finir la série en beauté, il était nécessaire de développer une intrigue aboutissant à un paroxysme, d'où la coloration "polar" de ce quatrième tome. Cela n'est pas inintéressant, mais à l'évidence, l'essentiel n'est pas là. McCay brille surtout par l'audace dont ont fait preuve Jean-Philippe Bramanti, avec des dessins d'un équilibre et d'une élégance remarquables et Thierry Smolderen, avec un scénario d'une richesse extraordinaire. Trop complexes, les inévitables explications théoriques ? Même pas ! Pour éviter de lasser le lecteur, les auteurs ont glissé avec facétie les explications les plus arides au cœur d'une scène d'érotisme : McCay et la jolie nièce de Hinton, elle-même mathématicienne, prennent ensemble un bain tout en échangeant des considérations sur la quatrième dimension...
Et pour ne rien gâcher, le livre est composé avec soin, avec un dos toilé et une post-face qui replace le récit dans son contexte historique et dans la biographie de McCay. Bref, voilà vraiment une de ces œuvres qui font honneur à une bibliothèque.
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