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ui n’a jamais imaginé se trouver projeté dans un univers parallèle ? Etre égaré dans un monde peuplé de créatures étranges mais ressemblant pourtant à ses souvenirs, reconnaître des lieux où l’on a vécu mais avec une légère différence d’apparence ou d’époque? C’est de point en point ce qui arrive à P’tit Louis. Sa dernière pensée de la vie d’avant est plus que jamais présente à sa mémoire. Il mariait une fille de Lodève, d’ailleurs il lui avait piqué ses chaussures pour faire le couillon à la fête, et tout d’un coup, il sent un « machin » qui lui rentre dans l’oreille et qui « aspire ». Ensuite : plus rien. Il s'est réveillé dans ce qui allait devenir sa prison, et trente ans plus tard il en cherche encore la sortie. Pourtant, le pauvre homme reconnaît certains aspects de son village, mais les habitants, eux, n'y sont pas... L’histoire est cruelle et le verdict sans appel : P’tit Louis s’est fait sucer le mental par une Ricoucougne.
Malgré cela tout n’est pas noir dans ce nouvel univers. Il y rencontre des compagnons d’infortune qui se sont fait piéger tout comme lui, Julienne et Jean-Marie les Merdouzilss, enfants de villageois, accompagnés de la Chenapouille. Eux aussi cherchent en vain. Ils ont perdus leurs amis, Jonathan qui est devenu subitement génial en goûtant de la Corniflure suprême, ainsi que Sylvain, Suzette et Richard qui les accompagnaient lorsqu’ils essayaient de fuir les infâmes jôles. Tout ce petit monde va s’associer pour chacun accomplir la quête qu’il s’est fixée.
En quatre tomes initialement parus dans Fluide Glacial et dans Pilote, Max Cabanes a accompli l’exploit de raconter une histoire inénarrable. Le monde qu’il a imaginé spécialement pour ses petits protégés est peuplé de créatures toutes plus loufoques les unes que les autres. Dans des paysages inspirés de sa région natale, mais transposée à une époque plus reculée, cohabitent les jôles et les anti-jôles, les garde-fous et les môlettes, le béniouioui et le grand mimamou, et bien d’autres encore. Cette série s’était arrêtée brutalement à la fin du tome 4, et même si certaines explications nous étaient fournies, il demeurait encore de nombreuses questions en suspens.
C’est donc avec une impatience toute particulière que le lecteur découvre cette suite, près de vingt ans après le dernier tome. Le professeur Wom, doyen de l’université d'Omégaphysique de Bézié s’apprête à faire une annonce de la plus haute importance devant ses confrères : il vient de découvrir que l’univers est une structure sonore qui tient sur une note : le LA. Bien sûr, toute l’assistance le prend pour un fou et s’empresse de prendre congé. Seul reste attentif un artiste qui lui montre une représentation en deux dimensions. Après avoir quitté le professeur et aussi bizarre que cela paraisse, ce dessinateur nommé Dzino semble s’adresser directement aux lecteurs que nous sommes.
Aucun doute, l’imagination débordante de Max Cabanes ne s’est pas émoussée. On reconnaît ici son affection pour les situations extravagantes et les personnages surréalistes. Son dessin ayant amplement évolué, il atteint ici un niveau de qualité exceptionnelle, démonstration y est faite de son talent à utiliser les pointillés et les hachures.
Sans vraiment constituer une suite absolue aux précédents tomes, l’auteur enchaîne sur une intrigue nouvelle assez surprenante. Malgré cela, le rythme soutenu auquel il nous avait habitué n’est plus aussi haletant, et on s’ennuie parfois. En espérant que ce tome permettra à l’auteur de renouer avec l’univers des villages et ainsi éviter une « panne d’inspiration », on ne va pas bouder son plaisir de retrouver les Chenapouilles et les Merdouzilss.