E
lizabeth Jane Cochrane, dite Nellie Bly (1864 -1922) est une pionnière du journaliste d’investigation et une proto-féministe américaine. Remarquée très jeune grâce à une lettre de complainte finement écrite et argumentée à propos d’un article sur le sort des mères au foyer, elle ose entreprendre une carrière de reporter. Son appartenance au sexe faible lui permet de pénétrer des cercles interdits aux hommes et ainsi proposer des enquêtes exclusives et souvent chocs. Elle doit sa gloire à un long reportage en immersion – pratique rare à l’époque – au sein d’un asile d’aliénées dans lequel elle dénonce le sort déplorable réservé aux patientes. Elle entame ensuite un tour du monde en solo à la manière de Phileas Fogg, la célèbre figure littéraire en vogue. Elle tirera de cette expédition de soixante-douze jours un ouvrage devenu best-seller. Après un mariage tardif, elle quitte le métier et se concentre sur l’entreprise de son mari en implémentant une foule de mesures sociales progressistes. Elle reprendra cependant la plume lors de la Première Guerre mondiale, puis, à la fin du conflit, en militant pour le suffrage universel et les droits des femmes et enfants. À sa mort à New York en 1922, elle est décrite comme étant « la meilleure journaliste d’Amérique ».
Nellie Bly prend le sillage d’Anita Conti au sein de la collection Pionnières. Moins connue de ce côté de l’Atlantique, elle demeure aux USA une icône importante, tant du journalisme que du féminisme. Plutôt que tenter de dresser un tableau complet, Nicolas Jarry a choisi de concentrer son scénario sur l’épisode clef de la carrière de son héroïne : son internement volontaire à l’hôpital de Blackwell's Island. L’idée est intéressante en soit, mais dilue le propos. Si Bly narre son aventure et se raconte un peu, elle dénonce surtout la situation. La force du message prend malheureusement le dessus et une bonne partie de l’album sert alors de réquisitoire sur les mauvais traitements en vigueur dans ce sinistre établissement. Résultat, la deuxième partie de son existence est expédiée en deux pages et sa fin de vie même pas mentionnée.
Aux pinceaux, Guillaume Tavernier fait ce qu’il peut pour se faufiler dans un découpage dense et verbeux. Malgré la multiplication des astuces de mise en scène (cases incrustées, décomposition de l’action, etc.), il lui est impossible de rendre totalement digeste cette longue description des affres de la psychiatrie balbutiante du XIXe siècle. Il s’en sort un peu mieux avec les personnages qui se montrent bien saisis – la peur et le désespoir sont palpables –, tandis que la reconstitution visuelle de la ville s’avère agréable et inquiétante à la fois.
Demi-biopic se limitant pratiquement à une seule anecdote biographique, certes révélatrice, Nellie Bly, journaliste échoue à rendre un hommage à la hauteur de cette personnalité détonante et profondément humaine.