Le 28/12/2020 à 12:57:33
C'est l'histoire de l'acteur qui joue l'asiatique dans la célèbre série Star Trek. Oui, il n'y avait pas que le vulcain Spock ou le capitaine Kirk sur le vaisseau spatial l’enter-prise ! On pouvait également compter sur Sulu, un jeune et brillant officier scientifique nécessaire pour explorer les contrées des lointaines galaxies. L'acteur en question est George Takei et il s'est associé à des auteurs pour réaliser une sorte de bd autobiographique sur son histoire peu commune alors qu'il était un enfant vivant à Los Angeles avec ses parents. Il est devenu au fil des années une sorte de porte étendard de la lutte pour la justice sociale. Or, nous savons que les USA ne sont pas toujours un exemple en la matière même si cela demeure une grande démocratie incomparable avec les nombreuses dictatures ou assimilées. Quand le Japon impérialiste a commis son infamie sur Pearl Harbor à Hawaï le 7 décembre 1941, les USA sont entrée en guerre malgré eux. Or, il y avait de la population d'origine japonaise sur le sol américain. Cette dernière, dans le doute, a été considérée comme ennemi potentiel alors que la plupart avait épousé l'art de vivre à l'américaine et non une allégeance à un divin empereur guerrier. Ces 120.000 citoyens d'ascendance japonaise ont malheureusement été enfermé pendant des années dans des camps d'internement de fortune. Attention, il ne s'agit pas de camp de la mort comme les nazis ont pu le faire. Il s'agissait de regrouper une population qui avait le tort d'être d'une race différente. C'est déjà une grande injustice en soi. Il s'agissait de calmer la population et de servir de tremplin à certains politiciens voyant le mal partout. A noter que c'est le « gentil » président Roosevelt qui a fait ce choix. On relèvera également que c'est le pourtant très « dur » Ronald Reagan qui a reconnu l'erreur qui a été commise envers cette minorité en présentant une loi réparatrice prévoyant un dédommagement financier. Bref, on sera surpris au fil de cette lecture. Il ne faut pas avoir de parti pris. Au final, j'ai beaucoup aimé le message positif et tolérant que véhicule cette œuvre surtout à la fin car les acquis peuvent être toujours menacé par des politiciens populistes s'appuyant sur un électorat bête et inculte et surtout peu respectueux des grandes valeurs qui forment une démocratie. On a incontestablement là une bd marquante de la triste année 2020.Le 01/07/2020 à 11:57:09
L’acteur américain d’origine japonaise George Takei est surtout connu en France pour avoir incarné le commandant Sulu à bord de « l’Enterprise », le vaisseau interstellaire de « Star Trek ». Dans "Nous étions les ennemis" ("They Called Us Enemy") paru fin 2019 aux Etats-Unis et en mai 2020 aux éditions Futuropolis, il nous livre avec l’aide de Steven Scott et Justin Eisinger au scénario et Harmony Becker au dessin un témoignage autobiographique poignant centré sur son enfance et une page sombre de l’histoire américaine : l’internement, après Pearl Harbor, des ressortissants américains d’origine japonaise. Ce roman graphique, nommé aux Eisner 2020 dans la catégorie meilleure œuvre documentaire, permet d’aborder un épisode méconnu de l’histoire américaine, de rendre hommage à ses parents et d’expliquer son parcours personnel. Un chapitre noir de l’histoire des Etats-Unis L’Attaque de Pearl Harbor, le 7 décembre 1941, en plus de marquer l’entrée des Etats-Unis dans la seconde guerre mondiale, aura des répercussions au sein même de la société américaine : par crainte d’une cinquième colonne japonaise sur le territoire, 120000 citoyens d’origine japonaise furent spoliés de leurs biens et parqués dans des camps, officiellement pour les protéger de la vindicte populaire et du déferlement de haine à leur égard. Durant tout le conflit, on promulgua de plus en plus de lois pour limiter leurs droits et les pousser à partir au Japon ; puis, à la fin de la guerre, les politiques s’en désintéressèrent et fermèrent les camps, livrant à eux-mêmes des personnes déboussolées, aux vies brisées, ne sachant pas où aller dans ce pays qui les avait rejetés. Les camps d’internement avaient déjà été évoqués par Alan Parker au cinéma dans « Bienvenue au paradis » ou par Julie Otsuka dans son roman « Quand l’Empereur était un dieu » mais le premier était un film très romancé alors que le second , par le choix de l’autrice qui appelait seulement ses personnages « la mère », « le garçon », « la fille » afin qu’ils représentent la communauté japonaise dans son entier, avait un côté désincarné. Takei et ses coscénaristes évitent ces deux écueils : l’acteur, qui joua en 2012 dans la comédie musicale Allegiance à Broadway qui racontait les camps mais avait été fortement contestée pour son approximation historique et ses abus de pathos, s’abstient de tout apitoiement mais aussi de toute sécheresse en contant son histoire par les yeux de l’enfant de quatre ans qu’il était alors. Il fait également preuve de rigueur historique en jalonnant le récit des déclarations réellement prononcées par les politiques à l’époque. Le parti-pris narratif donne de la profondeur au récit. Les voix se superposent : on entend en même temps la voix candide de George enfant et celle distanciée du George adulte qui, grâce aux conversations qu’il a eues avec son père dans les années 1960, a perçu toute l’horreur de la situation. Ainsi, lorsqu’ils sont parqués dans des étables à peine nettoyées avant de partir pour les camps, le petit George se réjouit « On va dormir là où les chevaux ont dormi, c'est rigolo ! » tandis que le Takei adulte qui a été présenté dans les premières pages comme donnant un Ted Talk à Kyoto en 2014 puis comme invité au Musée Franklin Roosevelt en 2017 ajoute en récitatif : « Pour mes parents c'était un coup terrible. Ils avaient travaillé dur pour acheter une maison avec deux chambres à coucher et élever leurs enfants à Los Angeles et on se retrouvait entassés à cinq dans cette stalle nauséabonde. C'était une expérience dégradante, humiliante et douloureuse » (p.30). De même, il déclare : « Je voyais des gens pleurer et je ne comprenais pas pourquoi. Papa m'avait dit qu'on allait en vacances. Je pensais que tout le monde partait en vacances dans un train avec des sentinelles armées dans chaque wagon. C'était une aventure ». (p.37). La perception enfantine, comme dans la vie est belle de Roberto Begnini (1997) permet ainsi à la fois de souligner une situation anormale perçue comme banale par le jeune protagoniste et d’échapper au pathos. On notera enfin que nombre de cases de l’album font référence au travail de la photo journaliste Dorothea Lange commandité par the War Relocation Authority qui souhaitait qu’elle y montre combien les « ennemis » étaient détenus dans des conditions décentes. On lui avait d’ailleurs interdit de photographier les barbelés et les miradors. Or, la photographe , qui était contre cet internement, dresse par son choix de sujets et ses cadrages un véritable procès à la nation américaine et son reportage fut confisqué . Déclassifié en 2006 seulement, il a été largement exposé depuis. Parmi les clichés le plus célèbres on voyait par exemple le salut au drapeau de petits écoliers issus de différentes ethnies (dont des japonais), les magasins avec l’inscription « Interdit aux Japs », les rideaux baissés des boutiques « à louer », de gros plans sur les ordres d’exclusion, les queues pour l’enregistrement sur les listes, les paysans d’origine japonaise réquisitionnés et sommés de récolter sur leurs terres une production dont ils ne jouiraient pas, les attroupements dans les gares avec des enfants étiquetés comme du bétail et des familles éplorées aux montagnes de bagages ainsi que des plans d’ensemble en plongée sur les baraquements … Harmony Becker reprend parfois littéralement les photos de Lange en utilisant d’ailleurs le même noir et blanc. Elle y ajoute bien sûr les miradors, chars et barbelés qui avaient été évincés du cadre et, en s’appuyant sur ce témoignage de première main, elle installe un réalisme quasi documentaire et remet en pleine lumière ce qui a été si longtemps caché. In memoriam: On trouve cependant beaucoup de douceur également dans le dessin d’Harmony Becker : les visages sont très expressifs, le trait lorgne du côté des mangas ou du "Tombeau des lucioles" d’Isao Takahata pour la peinture des émotions. Le récit à hauteur d’enfant célèbre la mère Fumiko qui a tout fait pour protéger ses enfants et leur permettre d’être préservés de cette réalité brutale. Il souligne ses petits actes d’héroïsme (casser devant son acheteuse un vase qu’on la force à brader avant l’évacuation, emporter illégalement sa machine à coudre pour aménager au mieux les taudis qu’on leur a réservés) comme ses sacrifices plus grands : renoncer à sa nationalité américaine pour pouvoir rester dans les camps avec sa famille. Ce livre rend aussi hommage à son père qui ne baissa jamais les bras et qui, convaincu de la nécessité de former une communauté soudée, œuvra à chaque fois comme chef de bloc ou porte-parole dans les camps où il était interné et monta même bénévolement une agence de replacement pour ses anciens codétenus après la libération des camps. un roman de formation Mais c’est surtout son rôle d’éveilleur de conscience qui est mis en avant : alors que la plupart des nippo-américains ayant vécu cette expérience traumatisante « refusaient de parler de l’internement avec leurs enfants », on voit plusieurs fois Norman discuter avec son fils , adolescent fougueux et vindicatif, et le raisonner : « Les gens peuvent faire de grandes choses, George. Ils peuvent avoir de nobles et brillants idéaux. Mais ce sont aussi des êtres humains faillibles, et nous savons qu'ils ont fait une terrible erreur ». Il prône donc l’empathie, la compréhension de l’autre et l’absence de manichéisme, leçons qui seront retenues par son fils. En effet, Takei dédie une partie importante du roman graphique aux combats que cette expérience lui a donné envie de mener par la suite. En faveur de sa communauté, pour que l’injustice soit réparée ; mais aussi pour la justice sociale, en se battant pour les droits des LGBT+ et le mariage pour tous (il est lui-même homosexuel). C’est d’ailleurs sur ce dernier aspect qu’on pourrait déplorer quelques longueurs car le parcours actuel de George Takei ne revêt pas autant d’intérêt pour le lectorat français que pour le public américain et les allers retours passé/présent sont parfois inutiles et cassent le rythme. Pourtant, malgré ces particularismes, l’album demeure très intéressant car l’acteur ne fait jamais preuve d’acrimonie. il délivre un message pacifiste et bienveillant qui prône l’égalité et la solidarité. Son livre dépasse alors le côté biographique et national pour s’inscrire dans une démarche humaniste dont l’intérêt est immédiatement perceptible quand dans les dernières pages de l’album on dresse des parallèles avec la situation actuelle : la stigmatisation des musulmans et l’accueil inhumain réservé aux migrants sous l’administration Trump (mais on pourrait extrapoler et trouver bien des échos chez nous …). Takei salue, en filigrane, les valeurs de la démocratie qui, si elle fait parfois des erreurs, permet aussi, selon lui, aux citoyens de s’impliquer pour les dénoncer et faire avancer la justice. Il résume ainsi la visée de son livre : « J'ai appris l'histoire de notre internement de mon père, durant nos conversations après le dîner. pour moi, le fait qu'on puisse passer sous silence les aspects déplaisants de l'histoire américaine pose problème. Cela nous empêche de tirer une leçon de ces événements. Alors on les répète encore et encore (p.172) » .C’est donc un album critique mais également rempli d’optimisme. On comprend pourquoi il a remporté le prix « Publisher Weekly » du meilleur roman graphique aux Etats-Unis et l’on espère qu’il aura un succès comparable ici.BDGest 2014 - Tous droits réservés