Info édition : Noté "Première édition française : Octobre 2013". Avec un vernis sélectif sur la couverture et le 4e plat.
Résumé: Charles Christopher, un drôle de bébé yéti, atterrit dans une mystérieuse forêt habitée par des animaux plutôt loquaces. À travers le quotidien de ses habitants, il tente de comprendre la raison de sa présence et de son étrange connexion avec la forêt.
U
n bébé yéti, Charles Christopher, armé de sa tétine, arrive dans une étrange forêt. Les habitants, aussi bavards que lui semble muet, vaquent à leurs nombreuses occupations. Des oisillons se préparent à leur premier vol, un oiseau au penchant alcoolique tente une introspection chez le psychologue, des moufettes travaillent dans la publicité. Manifestement, Charles ne saisit pas bien ce qu’il fait ici. Ses pérégrinations le portent à la rencontre du gardien de la forêt, qui lui confie une mission de la plus haute importance pour la survie de tout ce petit peuple. Mais pourquoi lui ? Et quelle est la nature exacte de la menace ?
Cette œuvre a d’abord démarré comme un modeste webcomic, avant d’être remarquée, encensée par la profession et récompensée d’un Joe Shuster Award et d’un Eisner Award. La première édition anglaise s’est trouvée épuisée dès sa sortie. En 2013, le studio Lounak publiait cet album en français pour le Québec. C’est maintenant au tour du public européen de découvrir cet ouvrage atypique.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que tout étonne dans ce livre : la forme comme le fond. Dans un format à l’italienne, Karl Kerschl compose des pages faites d’une ou deux lignes de trois ou quatre cases en général, parfois de quelques pleines cases/pages. L’histoire qui y est contée n’est certainement pas faite pour ceux qui aiment les chemins balisés et, surtout, savoir à l'avance vers quoi on les emmène. Si le petit yéti paraît bien décontenancé, le lecteur partage son incompréhension des enjeux de cette quête. Ceux qui accepteront ce postulat pourront plonger dans ce qui fait la poésie de cette bande dessinée : la découverte du petit monde imaginé par Karl Kerschl !
La mode de narration choisi vient entrecouper le rythme du fil rouge dramatique par une succession de scènes de vie de ce petit monde animalier aux préoccupations bien humaines. Tour à tour sérieuses, cocasses, absurdes ou ironiques, ces plongées émerveillent par leur justesse baignée d'une apparente simplicité. Morceau par morceau, se construit un univers original et tendre, dans lequel il est facile de s’abandonner.
Des strips, de l’humour, le trait cartoony est de rigueur, n'est-ce pas ? Eh bien non, l’auteur a choisi un dessin réaliste, fouillé, élégant, fourmillant de détails et soignant les expressions sans que jamais les loquaces bestiaux ne soient affligés de zoomorphisme. Le noir et blanc tout habillé de nuances de gris et de vert confère une atmosphère de douceur qui s’oppose à l’aspect vériste du trait, la dualité des teintes finissant par les valoriser mutuellement.
Comme dans tous les contes, derrière les émotions premières se cachent bien souvent d’autres vérités. L’abominable Charles Christopheri est bien loin d’avoir livré les siennes et c’est tant mieux, tant l’envie de prolonger le plaisir est forte.