À
peine le bal de printemps terminé que le manoir Dawnhall s’active déjà pour préparer celui de l’été. Malheureusement, les obstacles s’accumulent. La mort de Macy et le licenciement de Rachel par Bianca apportent un surcroît de travail aux couturières restantes, déjà débordées. Le repos prescrit par le médecin est donc encore repoussé pour Élinor, pourtant épuisée par la collection précédente. Malgré les soins prodigués par Siam et la sollicitude d’Abel, la jeune fille engage ces dernières forces dans la bataille. Un investissement d’autant plus nécessaire que Madame Tiffany s’est précipitamment rendue en Chine pour honorer une promesse et que Bianca, se sentant abandonnée par sa mère, a réagi violemment. Tandis que le célèbre atelier de couture est plus que jamais en péril, l’heure des choix a sonné pour tous.
Dans la veine des deux premiers tomes, Le Bal d’été apporte la touche finale à une série qui aura su entrainer ses lecteurs dans un univers à la fois doux et cruel, où les plus chatoyantes soieries dissimulent adroitement les plus douloureuses piqûres d’épingle. À l’image de la couverture d’Aurore (Pixie, Les prêtresses d’Isis, Sweety Sorcellerie), le ton, ici, se fait plus sombre, l’atmosphère s’alourdit encore et le drame, soupçonné depuis un moment, finit par s’exprimer au grand jour. Néanmoins, Algésiras (Candélabres, Les Guerriers du silence) use de finesse et avance toujours avec une délicatesse extrême, évitant les coups d’éclat généralisés, puisque ceux-ci semblent, en quelque sorte, réservés à l’impétueuse Bianca, écrasée, l’air de rien, par sa fonction, sa tâche, son rang. L’entregent dont elle use pour distiller révélations et bouleversements profite pleinement au récit puisqu’il maintient l’égalité du rythme tout en jouant sur les apparences, trompeuses, qui laissent entrevoir un véritable tumulte sous les dehors faussement paisibles et compassé d’un monde évoluant en vase clos. En outre, la scénariste ne manque pas d’apporter toutes les réponses aux questions qui avaient émergées précédemment, en particulier celles concernant les problèmes alimentaires d’Élinor ou les rôles exacts de Chao et Heng. Elle le fait, là aussi, avec subtilité et sans fioriture inutile. De même, elle parachève avec justesse l’évolution des différents protagonistes.
À la profondeur délicate du propos répond harmonieusement le dessin maîtrisé et agréable d’Aurore. Encore une fois, cette dernière parvient à rendre au mieux l’ambiance très particulière qui règne au manoir des Tiffany, mais aussi toute la richesse de ce qui en fait la réputation, à savoir les somptueuses robes qui y sont créées, ainsi que certains de ces joyaux, comme le jardin. Les scènes d’extérieur évoquent joyeusement la saison estivale à travers des couleurs gaies et tendres, alors que les séquences en intérieur s’inscrivent en contrepoint, leurs teintes plus sobres, voire froides rappelant que des événements tragiques se nouent derrière les murs. La mise en scène se révèle attrayante, le trait est travaillé autant que soigné, le découpage clair et les cadrages variés assurent une bonne fluidité et une dynamique de lecture que vient compléter l’expressivité des personnages. L’artiste maitrise pleinement son sujet et régale une nouvelle fois les yeux par son sens de l’esthétisme et l’ingéniosité dont elle fait preuve pour offrir toujours de plus belles tenues vestimentaires à admirer.
Élinor Jones se clôt sur une note douce-amère, qui perdure longtemps. S’il doit y avoir un regret, c’est de n’avoir jamais l’occasion de voir ce que serait un bal d’automne chez les Tiffany. Mais Heng le jardinier le dit si bien : « Fragiles, oui. [Les roses] pas durer beaucoup… mais elles auront contribué à la beauté du monde. ». Des paroles qui sont bien à l’image de ce que les auteures ont voulu pour cette série, réussie tant graphiquement que scénaristiquement.