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a commence tranquillement : des copains s’adonnent à la réalisation de bandes dessinées, notamment par le biais du fanzine Blackbird qu’ils auto-éditent. Peu importe le contenu, seul importe ce qu’il symbolise : une certaine idée de la liberté d’expression. Jusqu’ici, tout va bien. Le vote d’une loi aux apparences vertueuses qui abroge la loi Lang et interdit ce mode de diffusion va avoir l’effet d’une douche froide pour le groupe. Rappelez-vous : tout d’abord, ils s’en prirent aux Juifs ; n’étant pas concerné, je ne bougeai pas. Puis ce fut au tour des Tziganes, des homosexuels, des communistes... Toujours pas concerné, je ne bougeai pas davantage. Puis ils s’en prirent à moi. Tout peut aller très vite si l’on n’y prend pas garde.
En plantant son histoire dans un monde contemporain tout ce qu’il y a de plus classique, avant de basculer sans avoir l’air d’y toucher vers quelque chose de plus totalitaire, Pierre Maurel brouille ingénieusement la frontière entre la réalité et la fiction (d’un côté, comme une mise en perspective, avant d’être publié par la maison d’édition L’employé du mois, Blackbird a été auto-édité en six numéros. De l’autre, la loi du 14 avril 2011 relative à la garde à vue ne va pas dans le sens de ce qui est décrit dans l’album). Le procédé est malin, car ce flou artistique qui est entretenu d’un bout à l’autre de ce qu’il raconte n’est pas sans questionner, à travers le prisme de l’auto-édition, sur notre époque, sur la culture de masse. Sans y paraître, il pointe ainsi du doigt de nombreuses thématiques, sans pour autant délivrer de réponses toutes faites - comme une invitation à réfléchir.
Si le rapport au livre est au centre de toute chose (certains penseront très fort à « L’Association se refusant à imprimer sur ses livres des « codes barres » tout aussi esthétiquement disgracieux qu’éthiquement déplaisant... »), le fil rouge n’en est pas moins prenant (d'autres penseront là au groupe de Tarnac). La résistance de plusieurs protagonistes face aux dérives liberticides, leur entrée dans la clandestinité, tout cela est amené avec une justesse de ton qui évite l’écueil d’une vision trop binaire. Le graphisme, dans un format et un noir et blanc qui n’est pas sans parfois faire écho aux flyers distribués lors de concert de la scène alternative, traduit l’urgence immanente qui anime le groupe. Pas d’images chocs et d’uniformes bruns, la volonté de rester dans le domaine du possible demeure de bout en bout, l’étau qui se resserre autour des jeunes gens est bien crédible, sent le vrai. Oppressant ? Pas tant que ça, le narrateur insuffle de ponctuelles bouffées d’oxygène à son propos grâce à d’étonnantes séquences de skateboard qui témoignent de ses talents de dessinateur pour fixer l’arrêt sur image. Il est tout aussi doué pour exprimer le mouvement, son album vit dans et entre les cases, pour ce qu’il dit, pour ce qu’il raconte.
Blackbird pourrait être pessimiste, et pourtant, l’impression qui prédomine est que l’auteur, toute colère rentrée, y délivre des choses positives, comme un passage de témoin.
Lien vers : le site de Pierre Maurel
Les avis
Pulp_Sirius
Le 10/11/2022 à 00:56:07
Un gouvernement qui censure la liberté de presse est une dictature. Point final.
Ce que je trouve intéressant dans Blackbird, c'est que c'est un gouvernement "néo-libéral" qui censure. Pas les grands méchants religieux comme dans 99,9 % des bandes dessinées. Ça fait changement! Ceci étant dit, il n'y a pas d'autres informations sur le sujet. Et c'est peut-être mieux ainsi.
Sinon, l'histoire est assez simple. On suit des jeunes qui veulent publier leur livre en secret alors qu'ils se font pourchasser par les apologistes de la bien-pensance. On ne sait pas ce qu'ils veulent publier, sinon que c'est un fanzine. On n'en connaît pas le contenu. L'histoire évolue de manière assez traditionnelle. Le dessin est, à son tour, assez simple.
C'est une histoire qui rappelle indubitablement les dérives de notre monde moderne, mais quelle époque n'a pas connu ses dérives? Cette BD se veut être et un divertissement et un avertissement. Agréable à lire, sans toutefois être particulièrement surprenant.
Erik67
Le 04/09/2020 à 16:52:41
Du même auteur, j'avais déjà avisé Post Mortem (Gallimard) ainsi que Tabula Rasa. L'auteur semble être un adepte des sociétés apocalyptique. Cependant, en l'occurrence, c'est son oeuvre la plus proche de la réalité. Il n'y a pas d'élément fantastique. Il imagine simplement une société répressive qui ferait voter une loi qui supprimerait l'auto-édition. Or, de jeunes rebelles se soulèvent contre l'ordre établi en multipliant des actions au nom de la liberté d'expression.
La liberté de la presse et celle d'édition est déjà contrôlée dans de nombreux pays. Il n'y a rien de nouveau sous les tropiques. Cependant, cette restriction toucherait en l'espèce notre pays.
J'aurais envie de dire qu'il faut respecter la loi. Si le peuple élit des députés qui font des lois, c'est le principe même de la démocratie. Certes, toutes les lois ne sont pas bonnes mais qui a le droit de le dire ? Une minorité ? Dans ce cas, on tomberait inévitablement sous la dictature d'une minorité. Il faut savoir ce que l'on veut. La démocratie n'est qu'un leurre.
Pour autant, l'auteur souhaite nous faire passer un message d'attention. Dans cette société, une loi révise les conditions d'interpellation. On peut détenir une personne jusqu'à deux mois sans l'intervention d'un avocat. La propagande indique "aidez-nous à vous protéger". De nos jours, un sondage démontre que la majorité des français est prêt à sacrifier des libertés individuelles pour avoir à la place une société mieux sécurisée. Bref, on y va vers cette anticipation. Blackbird n'est qu'un avertissement certes louable.