Résumé: Le titre en italien, Morti di sonno, se traduit par « État de veille ». Mais sonno, en italien, signifie « sommeil » : le sommeil de gens dont la vie s’écoule entre inconscience et conscience, indifférence et lucidité. Ces gens, ce sont les habitants d’une triste cité de banlieue, presque tous ouvriers à l’usine pétrochimique voisine. Leur sombre histoire est racontée du point de vue d’un enfant, Koper, et de ses amis désœuvrés – tous rejetons des employés de l’usine qui dévore leurs vies sans joie, tous forcés de grandir à l’ombre des tours d’immeubles, tous ayant fait de longue date l’apprentissage du renoncement. Mené sur quelques 350 planches avec une puissance graphique peu commune, Morti di sonno est un accablant réquisitoire contre toutes les formes d’aliénation et de déshumanisation de notre « modernité ». Ce roman graphique exceptionnel a obtenu le prix du meilleur album au Festival de Naples.
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i>Etat de veille est un livre qui se situe à mi-chemin entre l’œuvre de Baru pour l’aspect social, et celle de Baudoin pour quelque chose d’élancé dans le trait, de profond dans le regard. La thématique centrale est celle de la préadolescence et de ses conséquences, le cadre est celui d’une cité implantée à proximité d’une usine pétrochimique. Le contexte est celui de l’Italie du début des années 80, celle des Dino Zoff et Paolo Rossi, mais aussi celle post-catastrophe de Seveso.
Innocence de l’enfance qui perçoit mais ne comprend pas, prise de conscience de l’adolescence qui comprend mais ne dispose pas de tous les éléments. Le monstre technologique est omniprésent sans être vraiment là. Il hante un quotidien désœuvré qui tourne essentiellement autour du ballon rond : des odeurs, des discussions, des silences... Quand la menace se précise, même si sa perception est encore diffuse à cet âge-là, elle coïncide avec les seules apparitions des adultes ; comme s’il y avait un indicible rapport entre les deux. Puis l’enfant grandit. L’évolution se fait sans fracas, mais naturellement. L’auteur n’explique pas, il décrit. Ni le récit, ni son personnage principal, Rino, ne s’échappent de la cité. Tout se joue à l’intérieur, comme écrit d’avance : l’échec est patent, subtilement mis en perspective.
Tracé à la mine, ponctuellement rehaussé au lavis noir, le dessin est d’une grande finesse, voire même d’une certaine élégance. Davide Reviatti prend son temps pour décomposer ses scènes, s’attarde sur le mouvement, la variation des angles et l’évolution de l’éclairage. Il effectue une approche très artistique de la gestuelle du footballeur qui n’est pas sans faire penser au travail de Baudoin sur la danse – l’hommage ne s’arrête pas là.
La substance profonde d’Etat de veille conviendra sans doute mieux à ceux qui apprécient les récits qui prennent leur temps pour se dérouler. L’approche est d’une grande sagacité, refusant la confrontation directe avec le cancer qui ronge la cité à distance pour mieux en saisir les effets pervers.
Les avis
Erik67
Le 06/12/2020 à 13:16:57
C'est la première fois que cet auteur italien est traduit en France. Cette bd a obtenu un prix au dernier festival de Naples. On a droit à une vision de l'Italie qui est loin d'être idyllique. L'aspect social est décortiqué un peu à la manière d'un auteur comme Baru entre forme d'aliénation et déshumanisation.
Le cadre est celui d'une cité de banlieue située à proximité d'une usine pétrochmique dans le Nord de l'Italie, ce qui empoisonne la vie de ses habitants. L'auteur se contente de décrire sans expliquer ce qui me semble être une démarche un peu incomplète. Pourtant, il aurait pu le faire sur ces 350 planches.
Je n'ai pas non plus aimé le dessin avec ces traits noirs et épais. Cependant, le graphisme cadre avec perfection avec cet univers triste. Il manque réellement de l'émotion ce qui fait qu'on lira cet ouvrage avec un peu d'indifférence malgré la gravité du sujet pour ceux qui ont des préoccupations d'ordre écologique.
zoutroy
Le 13/05/2011 à 03:05:33
En attaquant ce roman graphique, si l'on se fie à la ronflante critique au dos, associée à un Grand Prix du festival de Naples, on aurait tendance à penser que c'est déjà plié avant de commencer : Attention, chef d'oeuvre !!
En réalité, c'est plus compliqué que ça :
D'abord, un scénario en béton, le quotidien déprimant et sans issue de gamins d'une cité jouxtant une immense usine pétrochimique, dont la naïveté, l'innocence et même l'amour du football sont mis à mal par la brutalité de la réalité sociale, et sa moisson de victimes.
Malgré une trame narrative assez décousue, on saisit rapidement vers où l'auteur essaie de nous entrainer, à savoir la dénonciation d'un quotidien aliénant, sciemment entretenu par le pouvoir et sa police, un mode de vie totalement autarcique, dénué de culture et d'ouverture sur le monde, et où règne une omerta des plus oppressante.
Visiblement désespéré, en proie à la panique, l'auteur ne juge pas ses personnages, il les laisse déambuler au gré de leur propres vies qui s'enfoncent irrémédiablement dans un futur qui a tout d'une voie de garage, comme une fatalité, une malédiction qu'il faudrait absolument briser.
Des réflexions intelligentes, des phrases qui marquent, et une ambiance tendue, à couper au couteau, c'est du tout bon au niveau des dialogues.
Sur le fond donc, rien à redire.
Par contre, je trouve vraiment que la fin a été négligée, l'ouvrage se termine en queue de poisson, sous la forme d'une pirouette stylisée très dispensable et qui déçoit par manque de perspective et de lisibilité, même si le ton général le laissait grandement présager.
Cela nuit à l'ensemble, car on on reste vraiment sur sa faim...
Pas de happy end dans le "Real World", donc, faudra s'y faire...
Pas de manichéisme à outrance non plus, on est plus dans l'approche documentaire, même s'il est difficile d'éviter à un moment ou à un autre de tomber dans le misérabilisme.
Quant au dessin, sombre mais percutant, des visages très expressifs mais forcément monotone, avec un travail sur les ombres assez impressionnant, il y a une patte certaine, mais j'avoue être resté perplexe sur les personnages esquissés mais pas finis, coupés en deux, incomplets.
Sans doute était-ce précisément le but de l'auteur, montrer que dans ce contexte sordide les personnalités, et même les visages, sont incapables de s'épanouir, de laisser une véritable empreinte dans la réalité.
Certains apprécieront, d'autres beaucoup moins...
Au final, malgré un sujet bien traité, on ressent une certaine déception en refermant le livre. Gageons qu'une seconde lecture permettra de mieux saisir toute la portée de l'oeuvre...