Info édition : Noté "Première édition". Pas d'indication du mois de DL. Celui noté ici correspond au mois de sortie.
Résumé: Naja, Numéro 2 et Max pensaient avoir percé le mystère de l'identité de Zéro, leur employeur. Ils n'étaient que les pions du jeu d'« Il », dans une partie dont lui seul connaît les enjeux. Des pions damés qui n'ont plus d'autre choix que de lui faire confiance et de monter dans un train pour Bruxelles... où les attendent toutes les réponses, derrière les hordes de sbires déterminés à protéger Zéro, et le mystérieux narrateur de cette histoire, écrite bien avant d'avoir commencé...
N
°3, a.k.a Naja. Implacable, insensible au mal et aux émotions, beauté gracile et glaciale. Tueuse.
N°1, sur la première marche dans la hiérarchie de l'Organisation, hyper méthodique, idéaliste. Tueur.
N°2, créature au sourire de Joker qui aurait perdu les traits de son faciès, yeux trop à l'affut pour rester dans leurs orbites, tête brulée dont la quête consiste à être emporté par la grande Faucheuse par surprise. Tueur.
« il », lui aussi « homme sans nom », n'est pas doté d'un numéro (hors de l'Organisation ?) ; se tient à distance des trois autres pour mieux fondre sur eux le moment venu et leur signifier qu'ils sont à sa merci. Tue.
3, 1 et 2 se sont finalement alliés pour contrer la menace qui pèse sur eux, pour remonter le fil jusqu'au commanditaire ultime, dussent-ils affronter celui qui était jusqu'alors leur employeur.
Zero ? Clôturant un compte à rebours inhabituel, les pages de garde annoncent que ce dernier tome de la série lui est consacré. À lui seul ?
Connaître son identité ne serait pas suffisant. Il y a en effet quelques « Pourquoi ? » auxquels il faudra bien répondre. Et, gageure, en 46 planches, les auteurs y répondront. Dans un ballet de sang, plus proche, dans le ton, de la dernière partie du volet précédent que de l'ambiance qui baignait ses trois prédécesseurs. Là, à tort ou à raison, l'économie de plan, l'économie de texte, faisait régner une forme de silence et de quiétude. Le mouvement était omniprésent, mais il y avait aussi ces instants épargnés par le bruit et les coups, notamment ceux qui révélait une Naja vulnérable, fragile. Désormais, la fureur occupe la place. Dense, entretenant une certaine confusion tant dans leur présentation graphique que dans l'exposé de leurs desseins, ce final bouscule les personnages comme les repères, autant qu'il multiplie les occasions d'être désarçonné par une certaine forme de surenchère en matière de rebondissements et de manipulations.
Outre le fait qu'elle conclut de manière cohérente la série, sans pirouette ni chaussetrappe (ce qui n'exclut pas outrance et démesure), cette cinquième partie ne renonce pas à s'appuyer sur des fondamentaux grâce auxquels Naja a marqué les esprits jusque là. Tout d'abord, la frêle héroïne, redoutable, d'une intelligence hors norme dans l'exécution de ses contrats, inaltérable en apparence, écorchée vive au sens littéral du terme à plus d'une occasion, a priori incapable d'émotion. L'apercevoir domptée, entravée, troublée, à la limite de la soumission, restera un des moments-clé livré à nos yeux de voyeurs. Aujourd'hui, sous les coups de boutoir psychologiques, elle se métamorphose.
Ensuite, il y a une autre catégorie de portraits. Ceux des mégalopoles, des régions et des pays où Naja fait escale et dont elle éclabousse la population d'un mépris d'érudite. Après Bénarès, Tokyo, Beyrouth, la Catalogne, Haïti et la Colombie, c'est au tour de Bruxelles d'être dépeinte au vitriol avant d'être présentée comme l'exception qui confirme la règle. « Le ghetto francophone dans l'univers flamand » sera le théâtre où tout s'écroule, le point de chute – vertigineux - de celle qui, hors flashback, restera muette tout au long de cette conclusion. Si ce n'est pour laisser entendre un « d'accord » hésitant, qui illustre parfaitement une forme de capitulation de l'être à sang froid, peu à peu submergé par les confessions qui altèrent progressivement son apparente invulnérabilité.
La série aura également souligné la faculté des deux auteurs à conter simultanément la même histoire avec une complicité exaltante, l'un ne se contentant pas d'illustrer le propos de l'autre, celui-ci ne s'astreignant pas non plus à commenter ce qui est donné à voir. La remarque peut paraître incongrue, mais la façon dont le dessinateur ou le scénariste semblent avoir un temps d'avance sur l'autre, en alternance selon les besoins du récit, ou décrivent deux actions au cours d'une même séquence ou le temps d'une même case, tout en marchant du même pas, est particulièrement plaisante. Une voix off, à l'élocution justement dosée, guidant le lecteur là où elle veut bien le mener, en soutien (ou bien est-ce l'inverse ?) d'un trait tranchant comme le fil d'une lame, variété intense des cadres et des changements de rythme, colorisation qui n'aura cessé d'étonner plus de 200 planches durant, les atouts organiques de Naja sont nombreux. Les profils des tueurs, le spectacle qu'on imagine silencieux des corps qui jonchent le sol après n'avoir pas offert plus de résistance que des dominos face à la progression du trio 3-1-2 comme au plus beau temps du cinéma de Hong-Kong, l'appropriation des codes issus des différents continents majeurs en matières de BD sont d'autres points positifs.
Le chapitre Zero apporte aussi autre chose que ces éléments présents depuis le début. L'origine de cette tare qui affecte la jeune femme, son insensibilité. La lumière sur les acteurs de l'ombre et le rôle exact de l'ensemble des protagonistes (identité serait inexact puisque, plus encore qu'auparavant JD Morvan use de « biiiiiiip » et de « buzzz » pour masquer l'état civil de ses personnages avec une gourmandise apte à saturer le moins sensible des tympans). En s'aventurant sur le terrain de la tragédie dans sa dimension la plus sordide, les auteurs pourraient faire pâlir tout dramaturge un peu mesuré dans l'exposé des turpitudes qui peuvent secouer un univers familial. Too much ? Sans doute un peu, notamment dans la succession de levers de voile sur les agissements des uns et des autres. Si bien que, face au flot des révélations, le retour sur certains passages peut paraître nécessaire pour attribuer un aveu ou un acte passé à tel ou tel acteur durant ce dernier acte au cours duquel passion et haine sont déversés. « Famille, je vous hais» disiez-vous...
Une nouvelle fois, le duo Morvan – Bengal montre qu'il a réussi le métissage des styles pour créer une série à part, qu'il doit être pertinent de soumettre à l'épreuve de la relecture pour en disséquer les ressorts une fois la conclusion digérée. Donner l'envie d'être relue, une qualité qui ne court plus forcément les rayonnages.