Résumé: À la folie est un récit à deux voix. Celles d’un homme et d’une femme qui racontent comment leur couple s’est enfoncé dans la violence. Un récit au quotidien, presque sans acrimonie, qui n’occulte pas pour autant violences physique et psychologique.
V
ous souvenez-vous de ces films où l’on voit un couple retracer leur vie commune assis sur un canapé défraichi dans un appartement à la déco kitsch et délavée ? Souvent, ils reviennent sur leurs joies, les épreuves qu’ils ont traversées au cours d’une existence placée sous le sceau de la symbiose. Au cours de ces duos de monologues souvent émouvants, ils ne se coupent pas la parole. Dans …à la folie non plus. Au cinéma, tout autant qu’une technique, le montage est un art. Dans l’album, le même type de scène semble user du trompe-l’œil. En apparence, elle et lui sont aussi côte à côte. Dans les faits, ils retracent leur vécu ensemble et le tableau est tout autre. D’élan fusionnel, il n’y a et il n’y aura sans doute pas.
Elle l’a choisi, convaincue que c’est lui, l’homme avec lequel elle doit faire sa vie. Lui a relevé mollement le défi, sur le mode du « pourquoi pas avec elle ? » plutôt que touché par la foudre de la passion. Puisque matériellement il n’y avait pas d’obligation, elle a renoncé à une possible carrière professionnelle, synonyme d'affirmation de soi, avant qu’elle l'ait esquissée. Flattée qu’il lui confie le soin de faire… ce qu’il n’avait pas le temps (et probablement le goût) de faire : aménagement de l’intérieur et tâches ménagères. Un "modèle" de répartition des rôles somme toute courant, pas moderne au sens des mag’ féminins, mais qui constitue le lot de bon nombre de leurs lectrices.
Puis, survient la première gifle.
Il ne se contrôle pas, elle ne se révolte pas. La vie à deux, même si la distance entre les époux est désormais bien réelle.
Avec Les boules vitales , Sylvain Ricard avait convaincu de sa capacité à traiter des sujets réalistes et contemporains, y compris en jouant de la caricature pour opposer les deux protagonistes rigolos d’alors. Ici, on ne rit plus. Ou pas longtemps. Le temps du récit de la rencontre qui nous installe sur un terrain aux airs de fausse piste. « Vous êtes détendus ? L’esprit léger comme une plume ? OK, tournons la page ». Son récit est remarquablement charpenté, le débit de l'histoire coule presque paisiblement. Non pas que le duo central ait toujours le recul qui rendrait son exposé totalement serein (et pour cause), mais parce que le tapage et l’emphase (travers classique) affaibliraient la portée du discours. Les épisodes, qui s'étalent sur une longue période, sont entrecoupés par les séances de "divan" et pourtant le rythme de lecture n'est pas altéré. Pas un signe d'indifférence du lecteur, preuve d'un talent de conteur. Il y a bien un drame qui se joue mais sans la surcharge dramatique habituelle, y compris pour la conclusion. C’est ainsi la vie (de couple) ? C’est ainsi pour la vie ?
Les personnages sont formidables. Elle, éperdument amoureuse même au plus fort du doute, un temps incrédule jusqu’au déni, victime se sentant coupable, abandonnée et repliée sur elle-même lorsqu’on la place face à la réalité. Lui, affranchi de tout effort pour la séduire et la garder (c’est acquis), ailleurs chaque fois qu’il pénètre le domicile conjugal, inconscient de la portée de ses gestes. Sa mère à elle, perpétuant un schéma qui place la femme sous l’autorité de son époux, adepte de l’esquive ou de la simplification à l'excès. Sa meilleure copine, oreille attentive si elle peut aussi parler d’elle-même et fichtrement agaçante lorsqu’elle se met à les accuser, elle et lui. Les représentants des autorités et de la société, remarquables de conscience professionnelle, d’absence de compassion due à l’expérience et au côté routinier de la situation décrite. Portraits au cordeau. Sourires crispés à l’occasion.
Le dessin de James, qui en apparence ne change rien à son style, se révèle pourtant sous un jour différent. Habitué de l’humour caustique, il fait jouer à ses "acteurs fétiches" une partition différente de celle qu’il compose habituellement. Celle du quotidien, de l’ordinaire bien sûr, mais en gommant tout ce qui peut appuyer les effets qui font réagir à l’instant "t", que ce soit pour faire rire ou réagir. Sans non plus jouer la victimisation à outrance de la femme battue. Sans faire du mec qui garde comme principal souvenir de ses noces les piqûres de moustique autre chose qu’un con ordinaire. Faire jouer est bien sûr une expression car ses personnages sont troublants de naturel dans les situations, parfois longuement exposées, où ils délivrent des dialogues qui ne le sont pas moins. Du ton sur ton avec le matériel que lui a laissé le scénariste.
Pas de cliché, pas de pathos, pas d’appel tapageur à la conscience : …à la folie laisse son empreinte. Exemplaire de justesse.
La preview
Les avis
Erik67
Le 01/09/2020 à 12:59:35
A la folie… dénonce certes la violence conjugale mais montre surtout ce que peut endurer une femme par amour. Tout commence pourtant très bien comme dans un véritable conte de fée. Puis, brusquement, cela tourne au cauchemar comme dans la plupart des cas dans la vraie vie.
Bien entendu, ce discours ne sera pas compris par les moralisateurs de tout bord à commencer par la meilleure amie de cette victime. Il ne faut pas se médire sur ces propos. Ce qui arrive à cette femme est totalement condamnable. C’est l’horreur absolue dans ce qu’il y a de plus perfide d’autant que cela concerne l’intimité du couple. On ressent un véritable malaise certainement salutaire.
Ce que j’ai véritablement aimé dans cette œuvre, c’est que les choses ne sont pas aussi simples au niveau du cheminement de la pensée de cette femme qui se culpabilise. On a envie qu’elle s’en sorte, qu’il y ait une véritable prise de conscience de ce qui n’est pas acceptable. Le fait d’avoir utilisé des animaux semble adoucir la violence des propos et le choc des images. L’originalité de cette bd est autant sur la forme que sur le contenu du message non manichéen délivré au lectorat.
zaaor
Le 03/07/2010 à 17:03:16
Un peu long mais assez caustique.Le cycle de la violence conjugale y est bien expliqué, sans fla-fla. L'Idée des animaux est bonne mais en même temps trop utilisée dans les dernières années si on compte les Maus, Blacksad, etc.
Ce livre est à l'image de ce qu'est la violence physique et psychologique dans un couple. Un cercle sans début ni fin. Voilà pourquoi on peut avoir l'impression d'une non évolution des personnages. C'est tout à fait identique aux cycles de la vie des gens confrontés à ce parasite mental...
wilfro
Le 10/12/2009 à 12:28:07
... Pas du tout,
Une histoire de violences conjugales qui tourne en rond pendant une éternité, une BD minimaliste, qui aurait du être forte de part le thème si le dessinateur n'avait pas joué la carte de l'animalier qui décrédibilise tout le message.
D'ailleurs le message est pauvre et confus puisque la fin se mord la queue, et qu'on a attendue en vain toutes ses très longue pages qu'il se passe enfin quelque chose, une réaction humaine, une colère, une fuite, mais non on est bien chez les chiens.
Sylvain RICARD avait fait beaucoup mieux avec MILTON ou Guerres Civiles, on lui pardonnera cette faiblesse, si enfin il choisit de s'équiper correctement côté dessin.
A éviter.
DixSept
Le 07/10/2009 à 12:27:03
« A la folie » est une histoire d’une troublante vraisemblance : Elle, jeune femme dévouée à son foyer, Lui, cadre supérieur, qui gère son stress en la frappant.
En allant au-delà des clichés et en faisant évoluer (délibérément !) leurs personnages dans un milieu "aisé", Sylvain Ricard et James modifient quelque peu les lieux communs sur la violence conjugale.
La simplicité et l’a propos des dialogues mais également la sobriété et la précision du trait sont d’une efficacité redoutable.
Une vraie réussite, propre à (nous) interroger !