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uand, en 1946, Joe Simon et Jack Kirby créèrent Young Romance, ils n’étaient déjà plus des débutants. Leur projet était donc parfaitement en place dès le premier numéro et le succès fut immédiat, mais surprenant par son ampleur. Mettre en images des histoires de cœur « vraies » (dans les faits toutes imaginées par Simon) racontées avec un ton adulte toucha une corde sensible chez une population qui sortait des années de guerre. La mode lancée, tous les éditeurs ne tardèrent pas pour proposer leur propre ligne de comics romantiques, sans jamais atteindre la qualité du célèbre duo. L’aventure allait durer une dizaine d’années, avant que Kirby change de registre et s’associe avec Stan Lee pour créer un univers qui allait faire parler de lui.
Soixante-dix ans plus tard, ces récits à la morale et à la patine surannée peuvent faire sourire. Pourtant, en y regardant de plus près, ils offrent une plongée fascinante dans un monde aujourd’hui oublié. Il y est question de rang social, de réputation, de la place des femmes dans la société et de leurs attentes. De plus, malgré un ton violemment exacerbé – il s’agissait d’une publication populaire destinée à un public guère éduqué -, les auteurs osaient mettre en scène des situations osées sur le plan social (relations hors mariage, jalousie, pauvreté, pression de l’entourage, etc.). D’ailleurs, la censure officielle, sous la forme du Comics Code dès 1954, n’aura de cesse de recadrer les scénarios pour le sacro-saint salut des lecteurs jusqu’à les rendre fades et sans relief .
Sur le plan graphique, la patte unique de Kirby est évidemment l’atout principal de l’album. Même si la majorité des planches étaient le fruit de l’effort collectif de son studio, sa trace est immédiatement reconnaissable au fil des cases. La fougue est encore canalisée par les exigences du réalisme, cependant, pointent ici et là quelques gueules cassées qui devinrent une de ses marques de fabrique par la suite. Les amateurs de mode vintage seront également aux anges avec ce véritable défilé saison '46-'49. Outre les dilemmes cornéliens des héroïnes, le lectorat féminin de l’époque avait certainement dû être séduit par ce flot ininterrompu de toilettes aussi soignées et qu’inaccessibles.
Toni, Kate, Rusty, Lizzie, avez-vous trouvé le grand amour ? Avez-vous mené la vie calme et heureuse que vous espériez ? Vos petites-filles sont maintenant assez grandes pour connaître vos histoires et comprendre les tourments que vous avez sus traverser avec tant de courage.