Résumé: "Travailler dans un cabinet de voyance, ça vous pose un problème moral ?" Stéphanie est en 2e année de médecine. Elle a un petit ami, une super colocataire, tout roule dans sa vie, sans obstacle ni questionnement. Jusqu'au jour où sa famille est ruinée par un coup du sort. Stéphanie, gentille fille à papa choyée, est obligée de se trouver un travail pour payer ses études.Elle devient hôtesse d'accueil téléphonique dans un cabinet de voyance ! Ce petit boulot, pas vraiment anodin, va prendre de plus en plus de place dans la vie de notre héroïne.Les collègues, les clients, les voyants Tout cela est déroutant, parfois hilarant, souvent révoltant... et, mine de rien, ce concentré de naïveté, de cynisme, de cocasserie, de tristesse, de vies paumées et de misère humaine va bouleverser Stéphanie et son point de vue sur l'existence. Un roman graphique socio-psycho-intimiste, léger et grave à la fois, qui prend son inspiration originale dans des histoires vécues !
Q
ui n’a jamais lu son horoscope, même, voire surtout, pour rire ? Qui n’a jamais survolé les pages publicitaires de sa revue préférée mélangeant allègrement annonces pour agences matrimoniales ou pour téléphones roses et encarts pour une quelconque Madame Irma ? L’œil se fait généralement goguenard et le sourire moqueur à l’évocation de médium, de voyant extralucide, de tirage de tarot ou de prédiction d’oracle. La plupart en rigole, quand ils ne règlent pas la question d’un « bah, ce n’est que du charlatanisme ». D’autres, perdus, désespérés, en recherche de soutien, décryptent, avec sérieux, les pages zodiaque de leur magazine, surfent sur les sites de divination ou saisissent leur téléphone pour passer ce coup de fil au bout duquel ils pensent trouver La solution. De la voix, de préférence pleine d’entrain, qui leur répond, ils ne retiennent presque rien – les tarifs, la méthode de paiement par carte bancaire. Elle n’est, pour eux, que la dernière porte avant leur Graal. Pourtant, elle constitue bien l’un des maillons de la chaine de l’industrie de la voyance, et non des moindres.
S’appuyant sur l’expérience concrète d’une de ses amies, Isabelle Bauthian (Havre, Le prétexte) livre, dans Yessika, voyance : amour, travail, argent…, le quotidien de Stéphanie, une étudiante en médecine embauchée comme standardiste par un cabinet de divination. Après une présentation rapide des circonstances qui ont conduit l’héroïne à prendre ce boulot, le lecteur découvre avec elle le fonctionnement de ces agences un peu spéciales.
Au début, l’embarras et le déconcertement l’emportent. Puis, au fil des appels, la jeune femme prend de l’assurance, gère mieux les « blagues » des petits plaisantins ou des pervers et apprend à orienter les clients vers les voyants disponibles. Souvent, puisque c’est permis, voire qu’on l’y incite, elle écoute ces conversations supposées confidentielles et prend ainsi la mesure du gouffre qu’est la misère morale. Mais, le tableau presque amusant du départ se noircit également petit à petit. Les pratiques pas toujours reluisantes de l’entreprise sont montrées du doigt – les pubs par SMS, les opérations marketing soudaines -, de même que l’obligation de rendement des voyants – cinq minutes d’entretien et d’aide véritable ne valent pas deux heures de parlote creuse – ou que la déontologie à géométrie variable de l’agence. Si, dans les premières pages, le ton était relativement léger, voire amusé, il devient plus grave au fur et à mesure que le récit décortique les arcanes de cette exploitation à tous les niveaux – celle des employés, surveillés de près par la direction, et celles, évidentes, des clients. Le personnage principal et sa vision du monde changent, ce que lui font remarquer ses amis auxquels elle ne cesse de raconter, avec toujours plus de cynisme, les anecdotes de son quotidien de travailleuse. Jusqu’à ce que le trop plein se fasse sentir et que la rupture vienne.
Au-delà de l’industrie de la divination, ce sont bien les travers de certains boulots que la scénariste pointe sans ménagement dans cet album qui n'exagère jamais, mais se laisse porter par le cocasse ou, au contraire, l’horreur de certaines situations. Car, si l’humour est bien présent et apporte une touche de fraicheur à un propos finalement plutôt sombre, il sert avant tout de soupape de sécurité et n’entame pas la gravité de certaines réalités. Cela est accentué par le dessin de Rébecca Morse (En chemin elle rencontre…) qui colle bien à l’histoire. Son graphisme parvient à rendre avec justesse ces moments, tantôt rigolos, tantôt dramatiques, où l’héroïne fait face, presque seule, à son téléphone, à des demandes quelquefois hallucinantes ou à des reproches peu amènes, ou quand elle écoute discrètement certains entretiens pour le moins déroutants.
Intimiste, à la fois grave et léger, Yessika, voyance : amour, travail, argent... se laisse lire aisément et non sans plaisir. En le refermant, qu'on y croit ou non, il est certain qu'on ne verra plus la divination du même œil.