Info édition : Intègre le premier album plus la suite
Noté "Première édition". Avec un dossier supplémentaire de 13 pages.
Résumé: Louison est un enfant amnésique, Étienne un soldat français séduit un temps par les mythologies aryennes et Yin-Tsu une photographe japonaise chargée d’espionner Himmler. Tous trois cherchent à survivre à la guerre et à ses événements les plus terribles : la Shoah par balles, les camps de concentration, les sinistres recherches des « docteurs » de l’Ahnenerbe…
Wotan est le vent furieux des mythologies nordiques. À travers cette fresque sans concession et très documentée, Éric Liberge plonge dans les méandres les plus diaboliques du nazisme et de l’âme humaine, tout en développant une réflexion philosophique sur les thèmes du choix, de l’engagement et du courage. Explorant les zones d’ombre de chacun de ses personnages, il les confronte à l’innommable. Loin de tout manichéisme, Éric Liberge déroule la mécanique implacable d’un récit dont nul ne sortira indemne, et qui se déploie en trois grands volets, de la « drôle de guerre » à l’armistice du 8 mai 1945.
Les 162 pages de bande dessinée sont complétées par un dossier graphique et historique, notamment les récits des parents de l’auteur pendant la « drôle de guerre » et la Libération.
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ublié en 2011, le premier tome de Wotan est resté longtemps sans suite, jusqu’à la sortie de cette intégrale regroupant les trois albums prévus au départ. Les acheteurs de la première heure se sentiront sans doute lésés mais, au moins, ils découvriront la fin de cet ambitieux triptyque. En effet, Éric Liberge place la barre très haut avec ce qui s’apparente à un devoir de mémoire. L’écriture de cette fiction a été initiée par le témoignage de ses parents sur « leur » guerre (un intéressant dossier historique figure en fin d’album). Le lecteur est amené à découvrir la Seconde Guerre mondiale à travers le destin croisé de trois êtres. Louison, un gamin amnésique et fugueur. Étienne, un artiste aveuglé par sa passion, qui ne perçoit pas la signification de la résurgence du folklore et de la mythologie nordique. Yin-Tsu, photographe japonaise et sympathisante communiste, qui se retrouve contrainte de pactiser avec un des cerveaux de l’idéologie nazie. Loin d’être des héros, ces personnages, terriblement humains, sont les révélateurs des comportements de cette époque. Pourtant, ballotés par les événements et dépassés par l’horreur de ce qui se joue, ils peinent à intéresser, même si ce sentiment s’atténue au fil des pages.
Très documenté, l’ouvrage ne tombe jamais dans le voyeurisme ou le simple récit de guerre. Il montre la vérité de manière crue et implacable, révélant toute la force d’un système social et politique qui, profitant du désarroi et de la perte de repères des populations, offre de nouvelles valeurs et va jusqu’à justifier et banaliser l’abject. Entre la Shoah par balle perpétrée par les Einsatzgruppen sur le front de l’Est, les expérimentations médicales sur l’homme exercées par « l’Ahnenerbe » et les troupes de Dirlewanger qui s'offrent des esclaves sexuelles, le propos est lourd. Toutefois, malgré les compromissions, les lâchetés et la peur quotidienne, Éric Liberge veut croire que la rédemption est toujours possible, que chacun, à sa façon, peut se dresser contre l’obscurantisme et reconquérir son humanité.
L’utilisation de nombreuses reproductions de textes de l’époque – discours politiques et de propagande ou autres aberrations sur les races – confèrent de l’authenticité à la démarche mais alourdissent aussi la narration. Cette sensation se retrouve au niveau graphique. La précision du dessin réaliste donne une vraie puissance au récit. Cependant, entre des décors très chargés et un découpage multipliant les chevauchements et les superpositions, l’impression de surcharge est réelle.
D’un abord un peu délicat, Wotan n’en reste pas moins une œuvre forte. Alors que, loin de s’estomper, les échos glaçants de ces années semblent résonner de plus en plus fort dans nos sociétés, elle devrait être lue et examinée par le plus grand nombre, pour que personne ne vienne à nouveau dire : « je ne savais pas » !